Interview de Mgr Laurent Ulrich : « Une parole sur le chemin »

Paris Notre-Dame - 8 décembre 2022

Paris Notre-Dame du 8 décembre 2022

Alors que Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris, publie sa lettre pastorale “À Paris, dans la communion de toute l’Église”, adressée aux Parisiens en ce temps de l’Avent, il a accepté de nous accorder un long entretien. Il revient sur ses six premiers mois à Paris, sa vision pastorale, ce qui nourrit son espérance et retient sa vigilance.

 Lire la lettre pastorale À Paris, dans la communion de toute l’Église de Mgr Laurent Ulrich.

© Trung-Hieu Do

Paris Notre-Dame – Monseigneur, pourquoi écrire une lettre pastorale, six mois après votre arrivée comme archevêque de Paris ?

Mgr Laurent Ulrich – Une des missions de l’évêque est précisément d’être en dialogue avec le peuple de Dieu qui lui est confié. Durant ces six derniers mois, je me suis déjà exprimé plusieurs fois, mais j’ai surtout voulu me mettre à l’écoute. Le moment est venu, pour moi, de marquer une nouvelle étape dans ce dialogue, et de transcrire des choses que j’avais envie de dire. Ce n’est pas une parole définitive, mais plutôt une parole sur le chemin, sur ma façon d’appréhender les choses, telles que je les vois à Paris. C’est d’ailleurs le sens du titre choisi « À Paris, dans la communion de l’Église ». Je n’ai pas voulu tenir un propos général sur l’Église, mais bien m’adresser aux habitants, aux chrétiens de cette ville, pour partager avec eux mon regard sur cette Église parisienne que je commence à connaître et que j’aime. Quant au mot « communion », il rappelle que Paris – qui est une ville et un diocèse unique à certains égards – n’est pas une île. Paris s’inscrit bien dans la communion de l’Église et le tissu français.

P. N.-D. – Quelles réalités très concrètes de ce diocèse vous sont apparues ?

L. U. – J’ai très vite perçu le grand engagement social de proximité vécu au sein des paroisses, des associations et des mouvements catholiques. Hiver Solidaire, par exemple, qui débute ces jours-ci, se vit dans de nombreuses paroisses. J’ai aussi noté la très grande richesse de propositions de formation des chrétiens, portées par les facultés (Institut catholique, Centre Sèvres) et le Collège des Bernardins, mais également au niveau paroissial. Je constate aussi une belle attention à la liturgie, qui n’est autre que l’expression d’un dialogue avec Dieu et le témoignage de notre attachement au Seigneur. Je vois aussi que Paris est une ville en pleine mutation démographique ; il y a, d’une part, une « dépopulation » de certains quartiers, notamment ceux du centre, mais j’observe également une modification de la structure démographique. Des quartiers changent, mais tout ne se fait pas au bénéfice d’une sorte de gentrification. Il y a une volonté à ce que demeurent des quartiers populaires ; je le vois en visitant certaines paroisses, et je suis heureux de cette mixité. Cela rejoint d’ailleurs une préoccupation de l’Église de Paris, qui se montre attentive à cette disparité entre l’est et l’ouest ; il y a une volonté d’échanges, d’unité pastorale pour témoigner qu’il n’y a pas deux mondes différents mais bien une même réalité parisienne. C’est en ce sens que les vicariats ont été découpés, par mon prédécesseur, en faisant en sorte d’inclure des paroisses de l’est et de l’ouest de Paris ; on le constate aussi au niveau des prêtres, qui sont, pour la plupart, sensibles à ne pas rester dans une partie de Paris toute leur vie. C’est une volonté pastorale que je trouve très belle.

P. N.-D. – Vous évoquez au début de votre lettre « un contexte difficile ». Comme archevêque, comment recevez-vous le mouvement de colère des chrétiens à la suite des derniers scandales, impliquant des évêques ?

L. U. – Cette colère, je l’ai dit, je l’ai écrit, c’est aussi la mienne ; j’y vois aussi, d’une certaine façon, une colère du Christ lui-même face à ce qui est inacceptable – « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40) –, mais qui nous accompagne aussi à travers cette crise. Nous vivons un moment très douloureux. Je crois qu’il faut être sensible à ce sentiment qui s’exprime, et déterminé à lutter pour qu’il n’y ait plus de raisons pour cette colère en luttant résolument – c’est le mot que nous avons utilisé, avec l’ensemble des évêques de France, à Lourdes – contre les abus et les crimes, de toute nature, au sein de l’Église, sans donner prise à la division, qui est toujours l’œuvre du Malin. Plus que jamais, il nous faut nous tourner vers le Seigneur dans la prière. Ne perdons pas l’Espérance ! C’est le Seigneur qui continue inlassablement de conduire son Église à travers ces événements.

P. N.-D. – Quels chemins se dessinent pour l’Église de demain, selon vous ?

L. U. – Je crois beaucoup à l’esprit synodal. Je vais vous donner un exemple. Quand je suis arrivé à Paris, on m’a alerté sur la baisse des vocations sacerdotales. J’aimerais déjà souligner, même si cela n’est pas une réponse en soi, qu’il y a, certes, moins de vocations de prêtres mais dans le même temps, plus de chrétiens qui se sentent appelés à servir leur Église comme laïcs ou comme diacres. Sur ce sujet, j’ai souhaité agir de manière synodale. J’ai d’abord réuni des jeunes prêtres pour recueillir leur avis ; j’ai ensuite rassemblé des curés, qui ont souvent entre 20 et 30 ans de sacerdoce et donc un regard différent ; puis j’ai invité des laïcs engagés dans la vie de l’Église pour les écouter également. Nous avons fait un premier retour de ces échanges en conseil épiscopal et nous envisageons une rencontre avec des jeunes d’une vingtaine d’années pour entendre ce qu’ils imaginent de la vie de l’Église… la démarche est amenée à se poursuivre. L’objectif, c’est d’associer le plus de monde possible à une recherche, un dialogue, sur une préoccupation qu’on a remise à l’évêque et qui, l’ayant entendue, la remet à son tour au peuple chrétien en le consultant par petits groupes. Je voudrais constituer un groupe de personnes qui non seulement s’inquiètent de cette baisse, mais sont capables d’y réfléchir et acceptent de prier pour cela, et ainsi discerner quelle est la volonté de Dieu pour son Église. Voilà ce qui nourrit mon espérance pour l’Église de demain, cet esprit synodal source d’une grande fécondité, dont je suis le premier témoin.

P. N.-D. – Vous évoquez, dans votre lettre, l’épuisement, le burn out qui n’épargne pas le clergé. Comment l’expliquez-vous et quelle attention y prêtez-vous ?

L. U. – On le voit, de nombreuses catégories sociales sont touchées par l’épuisement ; le clergé n’échappe pas à ce mouvement de fond et certains prêtres, en effet, vivent un burn out. Comme archevêque, c’est une peine et une inquiétude. Je vois leur générosité, leur grande volonté de servir le Christ en son Église… La tâche est immense, c’est vrai, et on pourrait croire, moi le premier, que le Christ nous demande de tout faire ; en réalité, Il nous dit de faire ce que nous pouvons avec nos forces, sans nous inquiéter de ce que nous ne pouvons pas faire. Il faut pouvoir garder du temps pour la prière, la contemplation de tout ce que le Seigneur fait de bien dans le monde… Je ne suis pas en train de faire un éloge de la paresse, mais plutôt celui de la sobriété de l’action, car je ne souhaite pas que les prêtres de Paris s’épuisent… surtout, je ne souhaite pas qu’ils soient malheureux. C’est aussi la volonté du Seigneur : « Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger. » (Mt 11, 30). Je suis conscient de leurs difficultés et je suis en train de travailler sur comment nous pouvons mieux les accompagner, au quotidien, dans leurs missions et dans leur vie de prêtre, donnée au service, à la suite du Christ.

P. N.-D. – Quels liens avez-vous pu tisser avec le clergé parisien ?

L. U. – Rencontrer les prêtres a toujours été l’une de mes préoccupations et je veux y consacrer du temps, dès que je le peux. J’ai déjà vécu deux journées du presbyterium, le 31 mai et le 24 novembre, où j’ai pu apprécier une atmosphère, une fraternité, une vraie joie de se retrouver. J’ai également institué des rencontres régulières en petit comité d’une dizaine de prêtres, soit à l’occasion d’un petit-déjeuner, soit lors d’une rencontre de doyenné. L’objectif est de partager une bonne heure ensemble, sans cadre ni ordre du jour, où la conversation s’établit librement. Je fais aussi en sorte de passer le dimanche en paroisse, ce qui me permet de partager un temps fraternel avec l’équipe sacerdotale du lieu. Je visite aussi les Maisons du séminaire le temps d’une soirée pour un temps de prière et d’échange libre. Ces différents moments de rencontre sont très précieux et je suis profondément heureux de pouvoir les vivre.

P. N.-D. – Ces jours-ci, la France s’apprête à relancer le débat sur la fin de vie. Quel est votre regard et comment invitez-vous les catholiques à se saisir de ce sujet ?

L. U. – La fin de vie dépasse la communauté des catholiques, et touche à une question d’anthropologie très profonde qui rejoint les croyants d’autres religions, d’autres hommes et femmes agnostiques ou athées et le corps des soignants et des médecins qui sont liés par le serment d’Hippocrate. Il faut prendre conscience que nous ne sommes pas les seuls à vouloir préserver la fraternité et la dignité jusqu’au bout de la vie. La meilleure chose que nous avons à faire, c’est apprendre à connaître et faire connaître l’expérience des soins palliatifs. Ce qui s’y vit manifeste un amour de la vie, y compris quand elle est aux abords de la mort, et une manière d’être fraternels, d’accompagner jusqu’au bout ceux qui traversent les angoisses des derniers instants. Une présence, une parole, la prise en charge de la douleur, donnent aux dernières heures de la vie une intensité qui permet de se quitter de façon pacifiée au moment du passage ; la fraternité humaine peut aller jusque-là, nous devons en témoigner.

P. N.-D. – Nous fêtons les 400 ans de saint François de Sales, une figure d’évêque qui vous inspire tout particulièrement. Qu’est-ce que ce saint peut dire à notre époque et à notre Église ?

L. U. – Le pape va nous écrire sur cette grande figure, et il n’est pas impossible que j’écrive aussi un peu à ce sujet… François de Sales a fréquenté Paris, pour prêcher, visiter des monastères et aussi pour servir le roi de France, qui l’a fait venir plusieurs fois pour son conseil. Bien qu’il soit mort en 1622, c’est véritablement un saint pour aujourd’hui car il a voulu que la vie chrétienne – qu’on appelait à l’époque vie dévote – soit proposée à tout homme et à toute femme, et pas seulement au clergé et aux religieux, comme c’était souvent le cas au XVIIe siècle. Le message de l’Évangile n’est pas réservé à une portion, à des spécialistes, mais il est universel, et ce qu’il propose fait du bien à toute la société. Tout homme, toute femme, par son baptême, est appelé à suivre la vie du Christ. Cette volonté d’être attentif à toutes les vocations est une pensée extrêmement prophétique et féconde pour aujourd’hui.

P. N.-D. – En cette fête du 8 décembre, et dans cette époque troublée, que demander à la Vierge Marie ?

L. U. – Dernièrement, je suis allé prêcher à la chapelle de la Médaille Miraculeuse, et je me suis rappelé combien la Vierge Marie insiste auprès de Catherine Labouré sur le fait qu’on n’ose pas lui demander assez. Il y a dans le peuple chrétien une prière permanente. On le voit rue du Bac, où les gens se suivent pour prier cinq minutes ou une heure dans la chapelle… Notre monde est recouvert par un tissu de prières, qui sont celles de centaines de millions de chrétiens à travers le monde. Demandons à la sainte Vierge de nous laisser oser demander et oser écouter la parole de Dieu ensemble. Osons lui confier nos intentions personnelles, mais aussi des sujets comme celui de la guerre, de l’injustice, de la violence, afin qu’elle porte nos prières devant Dieu.

P. N.-D. – Pouvez-vous nous donner des nouvelles du chantier de Notre-Dame ?

L. U. – On peut se réjouir de ce qui a été annoncé il y a quelques jours par le général Georgelin : le chantier avance, conformément au calendrier prévisionnel. Même si on ne peut savoir de quoi demain sera fait, tout laisse à penser que les délais sont tenables et qu’on pourra de nouveau entrer dans la cathédrale dans deux ans. Actuellement, le travail principal consiste à la consolidation du carré de la croisée du transept, sur lequel on va pouvoir poser la flèche. C’est une très forte émotion et un grand bonheur de penser que Notre-Dame retrouvera sa silhouette familière dans quelques mois ! Quant au mobilier liturgique, nous sommes en train d’examiner les candidatures reçues pour que je puisse donner, dans quelques semaines, les cinq candidatures retenues. Pouvoir choisir un mobilier liturgique pour sa cathédrale est une grande joie pour un évêque, surtout que la consécration d’un autel est toujours un très beau geste.

P. N.-D. – Comment souhaitez-vous que les Parisiens vivent ce temps d’attente à Noël ?

L. U. – Dans cette société habituée aux fêtes mais, en même temps, assez indifférente aux questions religieuses de façon générale, je souhaite que les Parisiens qui veulent célébrer Noël en vérité prennent le temps de s’arrêter sur le sens profond de ce qu’est le mystère de la Nativité, de s’étonner de ce que Dieu ait choisi de venir au milieu de nous. C’est quelque chose qui ne devrait pas nous laisser indifférent : Dieu décide que par son Fils, il ne va pas rester invisible à nos yeux, mais se mêler à nous en embrassant les difficultés, les souffrances et les joies humaines. On n’aurait pas pu l’inventer ! Dieu le fait et se fait reconnaître comme homme. C’est une merveille, et je souhaite que les chrétiens s’en émerveillent et en soient profondément joyeux !

Propos recueillis par Charlotte Reynaud

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