Etreintes brisées

Pedro Almodóvar

Il paraît que Marcel Pagnol dirigeait ses films depuis le camion-son, estimant à l’oreille la vérité d’une scène. Almodovar le sait-il, qui nous raconte, après Woody Allen, l’histoire d’un réalisateur aveugle ? Critique de Bertilie Walckenaer.

Après avoir prouvé son amour des femmes dans toute son œuvre Pedro Almodovar braque cette fois sa caméra sur un homme dont la cécité le force à dépendre des autres. Mateo/Harry ne fait plus de films, mais il se met en scène dans ses amours de passage presque sous les yeux de ses proches, Judit et son fils Diego. Au cinéma, il faut un spectateur, et nous sommes bien au cinéma, le premier plan du film en témoigne : un œil en très gros plan dans lequel se reflètent les pages d’un journal. Le spectateur complice va donc se laisser donc emporter. Splendeur des couleurs, beauté des cadrages, musique superbe, rien ne manque à notre plaisir habituel, sinon que, cette fois, on rit beaucoup et que le mouchoir est inutile. Il est impossible de tenter de résumer un scénario brillantissime qui mêle les époques et entrecroise les histoires dans un montage d’une précision telle que l’on ne se perd jamais. Impossible encore de faire le compte du nombre de films qu’Almodovar mélange, film dans le film, making-of, documentaire, sans oublier tous ceux qu’il évoque, les siens comme ceux des autres. Encore une fois Penelope Cruz est la femme ! d’une beauté de madone brune, touchante, fragile, humaine, si incarnée. « On ne peut être un bon réalisateur si l’on ne tente pas de comprendre la nature humaine, confiait le cinéaste à l’issue de la projection cannoise. J’ai un accord tacite avec mes comédiens, qui me laissent fouailler jusqu’au plus profond d’eux-mêmes avec une générosité qui me rend très chanceux. Je les respecte profondément car je suis conscient de travailler avec un matériau très délicat. »

Etreintes brisées est une méditation sur le cinéma, miroir de l’amour, lieu des fantasmes et de la vérité. Pedro Almodovar y pose clairement les mêmes questions qui hantaient les critiques du XXème siècle : Qu’est-ce que le cinéma ? (André Bazin), Le cinéma a-t-il une âme ? (Henri Agel) ; comme Amédée Ayfre il cherche la vérité du cinéma (Le cinéma et sa vérité). Au passage, il nous rappelle des vérités essentielles : le mensonge tue, la jalousie détruit ce qu’elle touche, l’aveu libère, le pardon rend la vie et le rire, le cinéma règne… Pedro Almodovar est reparti du Festival de Cannes les mains vides.

Bertilie Walckenaer

Cinéma