3 Billboards : Les panneaux de la vengeance
Martin McDonagh
Martin McDonagh, 2017. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
Choc en retour
Un film formidable. Même si 3 Billboards n’est pas à mettre sous tous les yeux [1], voici l’équivalent d’un western moderne, dans un Sud américain encore plus profond qu’il n’y paraît, qui emmène le spectateur dans une odyssée qui ne le laissera pas indemne.
Il y a d’abord la tension d’un thriller. Pour retrouver l’assassin de sa fille après plusieurs mois d’une enquête infructueuse, une mère de famille, dans une petite ville du Missouri, loue trois panneaux d’affichage en déshérence au bord de l’ancienne route d’accès à la ville et y appose trois messages mettant en cause le rôle de la police. Dès lors tout fermente. La bourgade entre en effervescence. La police doit assumer ses propres contradictions. Les connivences se révèlent. De suspense en rebondissement, une traque haletante suivra son cours sans discontinuer, pour nous dévoiler beaucoup plus que la simple identité d’un meurtrier.
Il y a ensuite les personnages. Parmi tous ces « rednecks » frustes et violents, laissés pour compte de la modernisation et sans avenir en lequel espérer, beaucoup d’humanité émerge peu à peu. Chacun a sa part d’ombre autant que de clarté. Le flic le plus stupide pourra se remettre en cause. La mère vengeresse ne parviendra pas à s’exonérer de ses propres fêlures. La famille la plus moyenne navigue sur des abîmes. Et les nains ne sont pas forcément ceux qu’on pense. Servie par des acteurs exceptionnels [2], toute une galerie de portraits simultanément rebutants et attachants nous est offerte, comme un miroir inattendu.
La conjonction d’un scénario à rebondissements et de protagonistes à la vraie densité permet au cinéaste de ne jamais s’installer dans un schéma quelconque. Le cadre a beau être fortement typé, les situations et les enjeux ne cessent d’évoluer. Les dialogues ciselés, à la grossièreté pleine de finesse et d’ironie, alternent ainsi avec des retournements ou même des instants de “suspension” qui sont les vrais moments de grâce du film. Où l’on découvre qu’il est parfois difficile de ne pas tuer sa mère, héroïque de protéger sa rivale, méritoire d’aider un voisin de chambre d’hôpital… Il est des mots qui devraient être impardonnables, il est aussi des actes qui traversent les pires blessures.
Au terme de ce récit épique rigoureusement mené [3], le spectateur ne peut se réfugier dans le confort d’une fin qui résoudrait tous les problèmes. La complexité si riche de cet univers apparemment anodin nous empêche de nous dérober dans une neutralité extérieure. Il ne s’agit pas seulement d’une chronique du Sud, ni du moyen de s’adresser aux consciences, ni d’une étude psychologique ou d’une méditation sur la réparation et le pardon. Il y a plus que tout cela. L’observateur devient protagoniste du récit et le détour par une histoire autre que la sienne le confronte finalement à ses questions les plus personnelles. Le cinéma est fait pour ça.
P. Denis DUPONT-FAUVILLE
17 mars 2018
[1] Quoique la violence n’y soit jamais montrée de façon complaisante, elle se déchaîne à plusieurs reprises, avec des tabassages en règle ou un suicide. C’est d’ailleurs l’une des qualités paradoxales du film que d’arracher ses personnages à ce qui devrait être un engrenage fatal et d’amener le spectateur à scruter ses propres complicités avec une brutalité dont il lui serait facile de se repaître.
[2] Frances McDormand, dans le rôle de l’héroïne et Sam Rockwell, dans celui du flic obtus, ont chacun gagné un Oscar plus que mérité. Mais il faudrait aussi citer notamment Woody Harrelson en chef de la police ou Peter Dinklage (célèbre grâce à Game of Thrones) en amoureux éconduit.
[3] La sobriété et la justesse de la mise en scène, dès les premiers plans, répondent à la fermeté du propos. Certains instants restent inoubliables, comme la lecture d’une lettre dans un commissariat en flammes…