We feed the World et L’Avenir est ailleurs
Deux documentaires. Critique de Louis Corpechot.
Le documentaire connaît une vitalité tout à fait remarquable. Cette semaine, nous retenons deux films : L’Avenir est ailleurs, sur le BUMIDOM (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer), et We feed the world, sur les anomalies causées par la mondialisation de l’économie agricole.
We feed the world est un montage d’interviews de différents intervenants dans le commerce de l’alimentation, du pécheur au paysan, du directeur de l’abattoir à poulet à celui d’une multinationale, ou du spécialiste en biotechnologie à l’homme politique. Un certain nombre des images qui nous sont montrées, sans commentaires autres que quelques cartons explicatifs, sont choquantes en elles-mêmes : la quantité monstrueuse de pain gaspillé, les étendues inhumaines de champs de soja, les conditions de vies misérables des ouvriers. Elles se suivent à une vitesse qui respecte le spectateur et lui laisse le temps de s’interroger, seulement dramatisée par une bande originale discrète dont les sons électroniques s’allient avec le rythme des machines.
Ce ne sont pourtant pas ces images, parfois dures, qui nous semblent les plus efficaces pour dénoncer le crime d’une économie qui assassine les enfants en se prétendant humaine. Elles sont certes nécessaires, mais il y a dans We feed the world un moment de grâce particulier : il s’agit des scènes autour de la pèche. On voit successivement un pécheur qui, de nuit, compte le nombre de vagues pour déterminer la profondeur de l’eau au large, puis ce même pécheur sur son bateau qui remonte le filet, trie le poisson et donne les restes aux mouettes, enfin, un marchand nous montre les différences entre un poisson frais et un poisson détruit par la pèche industrielle. C’est qu’il vaut mieux, pour dénoncer la mort, montrer combien la vie est belle (le pécheur vivant en harmonie avec la nature) et comment celle-ci est en train de disparaître, plutôt que d’exhiber l’horreur de la mort en multipliant les images effrayantes.
L’Avenir est ailleurs, quand à lui, mérite d’être vu. Il ne se donne hélas que dans peu de salles.
En 1962, pour résoudre le problème de la misère dans les Antilles et celui du manque de main d’œuvre en métropole, la France crée le BUMIDOM, bureau chargé d’organiser une migration de masse vers l’hexagone. Mais l’existence de ce bureau change tout : avant, celui qui partait était un aventurier courageux, après, il collabore avec un gouvernement qui exploite la situation.
Aimé Césaire témoigne en effet de ce que les postes libérés par le départ des jeunes étaient donnés à des métropolitains récemment débarqués et parle d’une « substitution » de génération.
L’Avenir est ailleurs est une heureuse découverte. Il est en effet pour les Antillais l’occasion de revenir sur une période de leur histoire et de la transmettre à la jeune génération. Il est pour les métropolitains celle de découvrir tout un peuple, d’entendre sa langue, d’écouter sa musique, de voir ses traditions et son histoire.
Encore plus, au-delà de la simple rencontre qu’il invite à faire, en racontant un fait historique sans le juger, L’Avenir est ailleurs touche chaque spectateur dans ce qu’il a de plus cher, en évoquant la délicate question de l’identité.
Louis Corpechot