Le grand Silence

Philip Gröning

« Ce que la solitude et le silence du désert apportent d’utilité et de divine jouissance à ceux qui les aiment, ceux-là seuls le savent, qui en ont fait l’expérience. » Saint Bruno in Lettres des premiers Chartreux I, Guigues, Saint Anthelme, Paris, 1988, CERF collection Sources chrétiennes (n°88). Critique de Louis Corpechot.

La sortie du documentaire Le grand Silence, tourné à l’intérieur même de l’ermitage de la Grande Chartreuse, est un véritable événement.

« Que représente le temps pour quelqu’un qui sait qu’il ne quittera plus jamais l’enceinte du monastère ni sa cellule ? Qu’est la vie quotidienne, une prière dans un monde où tout n’est que répétition mais où pourtant chacun avance dans son propre temps ? Qu’est-ce qu’une prière ? Un monastère ? Et surtout, qu’et-ce qu’un être vivant ? » Ces questions que se posait le réalisateur Philip Gröning, unies à son désir de « faire un film concernant le temps », l’ont poussé en 1984 à rédiger son projet initial. Mais ce n’est que quinze ans plus tard que le monastère l’a contacté. C’est le début d’un dialogue silencieux entre la communauté et son visiteur : « J’ai eu l’occasion de vivre dans le monastère pendant presque six mois. Pendant ce temps, j’ai pu vivre dans une cellule comme un moine. Je devais partager la vie des moines. La Grande Chartreuse ne m’a imposé aucune condition excepté les suivantes : pas de lumière artificielle, pas de musique additionnelle, pas de commentaires, pas d’équipe technique, je devais être seul. Ces conditions correspondaient exactement à mon concept originel et donc, aucune restriction ne me fut imposée. »

Cette « correspondance » entre l’envie du réalisateur et celui des moines, le temps de réflexion de ceux-ci, et même le fait qu’après quinze années le réalisateur ait toujours ce même désir, montrent combien son but n’était pas d’utiliser les moines mais bien de les rencontrer. Attiré par le mystère de l’existence d’un mode de vie aussi différent que celui des chartreux, Philip Gröning, évitant l’écueil du voyeurisme, embrasse la vie d’ermite pour faire son travail.

« Chez les chartreux, une règle dit qu’on peut parler si c’est nécessaire pour son travail. Et comme le tournage était mon travail, j’ai pu [dire à un moine] : là, j’ai besoin d’une prise à trois broches. »

Le grand Silence est par sa forme même un film différend : sans musique ni dialogues, sans lumière artificielle, ce sont cent soixante minutes rythmées par des cartons répétitifs. Sa réussite tient au fait que cette forme est bien le signe d’un fond différent. La nouveauté de ce documentaire est qu’à travers le témoignage de Philip Gröning, le spectateur a accès à ce qu’il ne connaît plus et qui est la source de la vie des chartreux : le silence du désert.

Louis Corpechot

Cinéma