L’Étoile du soldat
Christophe de Ponfilly
L’Étoile du soldat, le premier long-métrage de fiction du grand reporter Christophe de Ponfilly, étonne par la beauté de son sujet, et l’amertume de son propos. Critique de Louis Corpechot.
La vallée du Panjshir, les montagnes de l’Afghanistan nous sont montrées du point de vue d’une personne qui les a vraiment habitées et aimées. Après dix films sur le drame Afghan, Christophe de Ponfilly a su voir. Voir la beauté des personnes, des visages durs aux yeux doux. Voir les gestes, comme ceux des soldats qui se lavent les mains avant le repas. Voir les ponts en troncs d’arbres, les grottes maçonnées, le trop plein de soleil et la moisson. Voir les pierres, les rochers et les cailloux qui sont comme la terre même de ce pays. Il a su montrer comment ce pays parait hostile et hermétique à l’étranger, ici un soldat russe, et comment il est accueillant, complice et protecteur pour ses enfants.
Une image : en contre plongée, des soldats Afghan marchent dans la montagne. On entend le bruit d’avions de chasse qui passent dans le hors champ : les soldats se couchent sous leurs manteaux et disparaissent. Les avions passent, ils se relèvent.
Mais la beauté ne suffit pas à adoucir l’amertume du propos du réalisateur. L’Étoile du soldat est un film profondément désespéré. Le mot même de désespoir y est prononcé deux fois. L’acuité du regard ne sert qu’à augmenter la douleur d’être le témoin de la destruction du monde. Une scène montre bien ce rapport entre conscience et douleur : le journaliste qui tourne un reportage sur la résistance Afghane est blessé par une balle au cours d’un combat qu’il filme. Plus tard, dans une grotte, les moudjahiddines lui retire la balle du bras. Il crache le bâton qu’ils lui ont mis entre les dents, puis refuse l’alcool qu’ils lui propose.
Ici, le refus de tout apaisement devant la douleur et la souffrance a pour effet la destruction de toute forme d’espoir. La seule personne qui nomme la paix, c’est un oncle qui prie pour que sa petite nièce repose en paix. Le prisonnier russe, musicien perdu dans une guerre qu’il ne comprend pas, regarde alors la caméra, marquant ainsi au spectateur l’instant où le mot paix n’a plus que celui de mort pour synonyme.
Ce même prisonnier, qui vient de voir son ami musicien tué, se souviendra de sa description des étoiles : chacune est un soldat mort pour sa patrie. Un jour, disait-il, il y aura tant d’étoile qu’il fera jour en pleine nuit.
La mort encadre le film. Son ouverture est un travelling arrière dans le vide intersidéral, auquel le montage associe comme son les cris des présentateurs américains qui commentaient en direct la chute des deux tours du World Trade Center. Sa fermeture se fait sur une triple évocation de la mort. Un premier carton nous indique que le vrai soldat russe sera assassiné, un second retranscrit un poème décrivant la nuit comme étant, « pour ceux à qui n’a pas été fait le don de l’amour », l’Ange de la mort. Enfin une séquence de film seize millimètre réunit les deux morts réels, le soldat russe prisonnier et le commandant Massoud, assassiné le 9 septembre 2001 avec une caméra piégée.
Louis Corpechot