Allocution de Mario Giro, Communauté de Sant’Egidio

25e anniversaire de la rencontre d’Assise à Paris.

Nous célébrons ensemble le 25ème anniversaire de la grande Journée de Prière pour la paix, que Jean-Paul II a voulue à Assise en 1986. En cet instant même, Benoit XVI, entouré des leaders des grandes religions, est monté sur la colline de St François pour commémorer l’événement.

Assise représente un geste absolument prophétique qui a fait des religions « les hérauts de la conscience morale de l’humanité qui aspire à la paix », comme l’avait affirmé le pape. À Assise Jean-Paul II avait aussi dit que « la paix attend ses artisans… c’est un chantier ouvert à tous ». À Sant’Egidio, nous avons pris très au sérieux cet appel, en travaillant pour la paix dans le monde et en répétant ce rassemblement chaque année, entourés de toujours plus d’amis et d’hommes et femmes des grandes religions, dans un pèlerinage de paix qui a fait souffler l’esprit d’Assise dans beaucoup de villes et de Pays. Etre resté fidèles à cette vision, c’est notre orgueil.

En 1986 personne ne misait sur les religions en tant que protagonistes de la géopolitique et de la culture mondiale. Elles étaient plutôt perçues comme un reste du passé destiné à la disparition, du moins en Occident. Certains, même, le souhaitaient. Jean-Paul II voyait plus loin, comme on l’a constaté par la suite. Il voulait que les religions se rencontrent afin d’éviter toute dérive et de trouver un langage commun de paix dans un monde divisé. Trois ans plus tard, lorsque le mur de Berlin s’effondra, il s’était exclamé « nous n’avons pas prié en vain à Assise ! ». C’était son dessein : des transitions pacifiques conduites par la force de l’Esprit.

Mais la guerre et la violence n’ont pas encore quitté l’histoire. Ces dix dernières années on été un temps où les pessimistes les ont imposées comme compagnes inéluctables de l’histoire de l’homme, temps du dévoilement d’un inévitable conflit entre civilisations et religions. La prédication de la haine, du mépris et de la méfiance a grandi entre mondes, cultures et religions. Un discours faussement raisonnable a essayé de nous convaincre que le monde ne peut être changé. Certains on appelé à réagir à cela avec indignation, d’autres le font par la violence, mais – nous le constatons - la majorité a peur et reste immobile. Pendant que les écarts se creusent, monte alors une violence diffuse, portée par les conséquences de l’injustice mais aussi par la déchéance de l’esprit de coexistence. Comme l’a observé le cardinal Vingt-trois pour la société française (mais on pourrait dire européenne) « nos sociétés sont marquées par une sorte de peur … latente et diffuse qui peut devenir un levier démagogique puissant ». Des millions de femmes et d’hommes, plongés anxieusement dans un monde toujours plus inhumain, attendent donc une réponse. Voilà pourquoi nous sommes ici : nous avons besoin de l’esprit d’Assise dans un monde où se renforce la peur diffuse de l’autre ! Nous croyons que les religions ont une grande responsabilité et possèdent des trésors de foi, de spiritualité, de savoir. Chacune - nous le savons bien - a sa manière et sa tradition de vivre cette responsabilité.

Aujourd’hui à Paris, au Trocadéro, à coté du Musée de l’Homme où l’être humain est vu dans son unité et sa diversité, haut lieu de la recherche ouverte sur l’universel et de la pensée humaniste, une France plurielle se rassemble autour des responsables religieux pour parler avec audace au cœur de l’homme d’une nouvelle vie ensemble, une vie sortie de la peur. Je remercie au nom de Sant’Egidio tous ceux qui sont ici et le cardinal Vingt-trois d’avoir voulu ce rendez-vous. À Assise, Jean-Paul II demanda aux croyants de rester les uns à côté des autres dans la prière, et non les uns contres les autres. Il proposa de lier la force faible de la prière et la paix. Il croyait en la force des grands courants de spiritualité et de foi qui soutiennent le monde dans le profond et peuvent changer l’histoire. Voilà ce que c’est l’esprit d’Assise que nous célébrons.

Les différences qui nous effrayent ne peuvent pas se réduire par des conflits. Certes nous ne croyons pas non plus en une conciliation à l’amiable, à un embrassons-nous facile, à un relativisme à bon marché. Notre monde, malgré la mondialisation, reste extraordinairement pluriel. La diversité est aussi un droit. Mais pour vivre ensemble il y a besoin du réalisme du dialogue, comme d’un art de faire la paix. Cela requiert de la part des religions avant tout un travail exigeant sur elles-mêmes. Au dernier rendez-vous de Prière pour la paix de Munich organisé par Sant’Egidio dans la lignée d’Assise, Benoit XVI, en remerciant Sant’Egidio pour son engagement, ajoutait dans son message : « nous devons apprendre à vivre non pas les uns à coté des autres, mais les uns avec les autres, c’est-à-dire apprendre à ouvrir le cœur aux autres … le cœur est le lieu où le Seigneur se fait proche. Pour cela la religion, qui est centrée sur la rencontre de l’homme avec le mystère divin, est liée de manière essentielle avec la question de la paix. Si la religion échoue dans la rencontre avec Dieu, si elle abaisse Dieu à soi au lieu de nous élever vers Lui, si elle en fait d’une certaine manière sa propriété, alors elle peut contribuer à la dissolution de la paix ». Il s’agit là d’un avertissement redoutable.

Vivre ensemble demande à tous d’assumer les diversités et de se reconnaitre un destin commun. Cela n’est pas toujours facile et c’est parfois douloureux à accepter. Parfois la liberté de l’autre nous fait peur. Il faut la sagesse d’accueillir les autres dans une vision large et pacifiée du monde. Être soi-même, fidèle à sa foi, ne contredit pas la recherche de l’autre. Le dialogue entre les croyants est essentiel, tout comme celui entre croyants et humanistes laïcs. L’histoire de France en témoigne. Devant la violence diffuse, qui dénature le visage de nos villes, nous offrons une méthode : commencer par soi-même. « Commencer par soi-même : voilà la seule chose qui compte… » - a écrit Martin Buber. Cela signifie vivre ancrés dans une foi profonde et désarmée. Les religions ne sont pas porteuses d’idéologies mais de spiritualité. Un grand spirituel russe, saint Séraphin de Sarov, affirmait : « Acquiert la paix en toi et des milliers la trouveront autour de toi ». La dimension personnelle et spirituelle reste incontournable. Si on la supprime, quelque chose se meurt dans l’homme. On ne fait pas l’histoire sans compter avec l’homme, en piétinant la valeur de la vie. L’Esprit d’Assise c’est croire - comme le disait le cardinal Lustiger - « qu’il y a une unité du genre humain… que les différences entre les hommes sont assumées par l’origine de l’homme et Celui vers lequel elles marchent ». Les religions représentent des réseaux de cœurs et d’existences. Elles nous donnent le courage pour résister au pessimisme, conséquence d’une société entachée par la violence diffuse et la peur de l’autre.

Un humanisme de paix, une civilisation du vivre ensemble dans la diversité : voilà ce que nous proposons dans ce monde pluriel de manière irréductible. Rien et personne ne peut homologuer les hommes : ni la force, ni l’économie, ni une puissance culturelle. Rien ne peut aussi assurer la sécurité d’un homme ou d’un peuple sans la liberté de l’autre. Nous le voyons aujourd’hui dans le désir de liberté qui monte partout. Mais la force de l’esprit peut nous libérer de la peur de l’autre. L’esprit d’Assise est ami de la liberté. La rencontre entre hommes et femmes de religions différentes converge clairement dans la liberté. La liberté, celle de chacun et des peuples, reste une réalité inviolable. L’aventure de la liberté dans l’histoire - où la France a joué un grand rôle - ne nous effraye pas parce que l’Esprit est libre. Les croyants sont porteurs d’une force spirituelle d’amour et de miséricorde qui réveille les cœurs, qui résiste à la culture muette de l’antagonisme et regarde au-delà.

Long est le chemin de la composition des différences, de la construction du vivre ensemble, du lien social et des relations entre les peuples. Mais c’est la voie de la paix. Il y n’a pas d’humanité sans la paix : seule la paix rend humain ce monde. La paix est le nom du destin commun des hommes et des peuples. C’est ce que nous disent les grandes traditions religieuses. C’est ce que nous suggère aussi la réflexion humaniste et laïque sur l’histoire. Ce rendez vous à Paris, en lien avec Assise, représente un jalon de cette initiative des croyants afin de donner un contenu visible au vivre ensemble, témoigner de la force de la prière et rendre explicite, par la présence de tout un chacun, le contenu transcendant de la paix, don de Dieu.

25e anniversaire de la rencontre d’Assise à Paris