Hadewijch
Bruno Dumont
Le réfectoire d’un couvent, quelque part dans le Nord. Les religieuses sont rares et vieilles, à l’exception de deux novices qui, côte à côte, écoutent la lecture. L’une, les yeux cernés mais le regard transparent, n’est pas indifférente aux gestes et à la respiration de sa voisine ; l’autre, à l’expression adolescente, n’arrive pas à manger. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
Après le repas, les anciennes délibèrent. Si Céline ne mange pas, c’est qu’elle refuse de s’épargner. Il faut donc la faire sortir, pour que le monde lui apprenne la vie. La supérieure, à l’expression méchante, la convoque. Céline traverse le cloître pour se rendre au rendez-vous, frôlant languissamment un jeune maçon. La supérieure, sans un regard, lui signifie son renvoi. Céline, sans un mot, va pleurer près de sa chapelle favorite et sort du cloître, croisant à nouveau le maçon qui, lui, entre dans une fourgonnette le menant en prison.
Céline habite Paris. Plus précisément, l’hôtel de Lauzun. Son père, ministre, est un con. Sa mère est sans doute dépressive, proche de l’autisme. Céline déambule en jean avec son caniche, pieds nus sur les parquets Louis XIII, jusqu’au jour où elle croise trois beurs dans un café de l’île Saint-Louis. Elle ne tarde pas à enlacer l’un d’eux, à qui elle déclarera bientôt vouloir rester vierge pour se donner à Jésus. Agacé par le regard d’un passant, le beur vole la mobylette de celui-ci. Il emmène sa dulcinée chez son frère, animateur d’un groupe musulman de réflexion. Cet imam parle de l’invisible en des termes qui parviennent à sortir Céline de sa torpeur. Entre deux soupirs qui renvoient manifestement à un désir inassouvi d’orgasme, celle-ci lui confie qu’elle souffre de ne pas sentir plus la présence de Jésus, son corps, son…
Rapidement, la voici au Moyen-Orient. Devant la violence subie par les musulmans, elle déclare vouloir entrer dans l’action pour être un instrument de Dieu et faire régner Sa justice. Peu après, elle et son animateur favori se font donc exploser dans le métro parisien.
Scène finale, voulant manier le paradoxe : Céline est de nouveau au couvent d’Hadewijch. Après une pluie torrentielle, elle va se jeter dans un étang. Surgit alors le maçon, libéré de prison, qui la sauve et l’enlace, ses pleurs se mêlant à la pluie et ses sanglots à la musique de Bach.
On l’aura compris : voici un film où les clichés les plus éhontés se mêlent aux invraisemblances les plus scandaleuses, avec des raccords toujours plus grossis et soulignés. Non pourtant qu’on puisse parler d’une mise en scène : les plans fixes ne suffisent pas à composer un cadre, ni les légendes pesantes (cf. par exemple le passage du Moyen Orient au métro, où une vue de ville avec une pancarte "Eternity" laisse la place à un quai "direction Nation" !) à évoquer un univers. La manière de filmer ne cesse de contredire les tourments de l’adolescence dont on prétend parler. Dans cette dissertation sur l’invisible, rien qui ne soit lourdement montré. Dans cette trajectoire d’une apprentie Thérèse de Lisieux qui se révèle Bécassine en prenant la posture d’une Louise Michel du Djihad, les conventions bobos le disputent à l’ignorance de la réalité. Ce n’est pas la récupération pseudo baptismale et christique de la dernière scène qui peut sauver le propos. Désolé de devoir contredire Bruno Dumont : il existe des religieuses heureuses, la disparition de monastères féminins dans le Nord n’alimente pas le terrorisme islamique et, surtout, le réel est porteur d’une transcendance qui dépasse le plan du simple discours. Ce que montre chaque image d’un grand cinéaste, toutes les scènes de Hadewijch ne peuvent que le singer.
P. Denis DUPONT-FAUVILLE +