Jeanne captive
Philippe Ramos
Philippe Ramos, 2011. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
Dès les frères Lumière, la figure de Jeanne d’Arc a fasciné les cinéastes. Qu’il suffise de rappeler les chefs d’œuvre de Dreyer, Rossellini, Bresson, ou plus récemment la longue fresque de Jacques Rivette : autant de points de vue différents, autant de regards sur un personnage à nul autre pareil, à la fois épique et tragique, Pucelle plus brave qu’aucun soldat, brûlée par ordre d’un tribunal ecclésiastique avant d’être canonisée par l’Église.
Philippe Ramos adopte une perspective inédite en se focalisant sur la période de captivité de Jeanne : d’abord chez Jean de Luxembourg qui, après la bataille de Compiègne, la retient prisonnière pour la vendre au plus offrant, puis entre les mains des Anglais, auxquels elle est remise pour marcher vers Rouen, son procès et sa mort. Fasciné par cet enfermement, il ne retient rien du procès de Jeanne et de ses paroles publiques, mais examine son mutisme et le désespoir qui a pu l’envahir quand elle a compris que le roi qu’elle avait fait sacrer ne bougerait pas pour la sauver.
Filmé de façon sobre, scrutant au plus près les visages et les corps, souvent caméra à l’épaule, alternant les plans paisibles de nature et les séquences tendues entre les personnages, le drame avance lentement, déployant les données de l’énigme vers un aboutissement que tous devinent inéluctable. Les doutes et le courage de Jeanne rencontrent la rapacité des grands seigneurs, la crainte des soudards, la commisération des gens du peuple, le respect des officiers et le silence du ciel. Les cadrages sont soignés et certains acteurs (signalons notamment Liam Cunningham, dans le rôle du capitaine anglais) très convaincants.
Las ! Dès la première image, nous savons que nous n’apprendrons rien sur Jeanne. Sautant du haut de la tour de Beaurevoir, où elle est prisonnière, l’héroïne, en effet, murmure d’abord « pardon » vers le ciel avant de se précipiter la tête la première, ce sur quoi insiste le ralenti : Jeanne veut donc de se suicider. Toute la suite du film ne fera que tenter d’étayer ce propos, voire de justifier une telle attitude chez une Pucelle bien plus préoccupée de réentendre ses voix que de savoir comment Dieu peut considérer ses actes.
Le problème est au moins double. D’une part, Jeanne fonctionne comme une adolescente hystérique en proie aux élans d’une sexualité d’autant plus refoulée qu’elle se pare de mystique ; d’autre part la paysanne lorraine, par ses attitudes, ses regards, ses paroles et ses intonations semble ici constamment sortir d’un loft du boulevard Saint-Germain.
Il ne s’agit pas de contester la liberté des moyens ou la vision d’un auteur. Nul besoin, l’histoire le montre, d’avoir la foi pour bien parler de Jeanne d’Arc. Mais là où le grand artiste, incroyant ou non, parviendra à donner à voir la foi de la sainte sans essayer de réduire son énigme, la tentation actuelle consiste à tout ramener à des problématiques d’une pauvreté souvent étonnante, pour donner une explication « plausible » qui s’accorde à nos phantasmes contemporains. La fin du film, où les visions de nudité voisinent avec des personnages mythiques et des rites animistes, est à cet égard douloureusement prévisible. Dommage.
P. Denis DUPONT-FAUVILLE
3 novembre 2011