Au-revoir là-haut
Albert Dupontel
Albert Dupontel, 2017. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
Sans profondeur
Beaucoup d’atouts étaient réunis pour le nouveau film d’Albert Dupontel. Un récit ayant remporté le prix Goncourt, mêlant histoire et fantastique, avec de plus l’évocation de la première guerre mondiale, traumatisme fondamental dont le centenaire, curieusement, n’a pas beaucoup inspiré le cinéma. Une équipe technique soudée, capable d’aboutir à une reconstitution crédible comme à des mouvements de caméra virtuoses. Des acteurs au jeu impeccable [1], prenant un plaisir manifeste au tournage. La fantaisie et l’expérience du réalisateur, capable d’alterner les registres d’une séquence à l’autre comme d’instiller une poésie de façon parfois inattendue, comme dans la succession des masques dissimulant le visage d’une gueule cassée.
Las ! Après un début de bon augure, le film sombre rapidement dans une prétentieuse guignolade. Les bons sont très bons, les mauvais très mauvais, les riches très riches et les pauvres très pauvres. Le monde n’est pas aimable. L’humanité n’est pas crédible. Heureusement il y a quelques gentils mais ils n’empêcheront pas les autres d’être méchants. Et quand un méchant devient gentil, c’est si beau qu’il vaut mieux se suicider tout de suite pour avoir une chance de finir heureux. L’autre versant du happy end consistant à s’enfuir loin du monde avec un gynécée à disposition [2]…
Au-delà de ce propos sans vraie surprise, la mise en scène n’a pas de cohérence, se contentant d’aligner les séquences disparates (combats de tranchées, fêtes des années folles, incursion aux colonies, réduit prétendument romanesque) et les références cinéphiles (Chaplin, Kubrick, Carné…) sans que la forme corresponde à un fond. Le récit ne peut se passer de voix off, la caméra n’exprime pas ce qu’elle prétend dire. Ainsi du regard sur les femmes : ramenées à de simples figures, elles sont soit stéréotypées [3] soit godiches [4], parfois même réduites à une chair à consommer [5].
En d’autres termes, là où la richesse de la trame et la compétence des techniciens laissaient espérer une synthèse entre diverses facettes, nous nous retrouvons face à une œuvre qui ne trouve jamais sa cohérence propre, hésitant perpétuellement entre le film d’époque, le conte de Noël, la dénonciation sociale, la comédie ou le drame romantique. Film baroque et bien fabriqué, certes, mais n’est pas Terry Gilliam qui veut ; la maîtrise formelle n’aboutit qu’à un spectacle m’as-tu-vu.
Cette histoire de deux anciens poilus montant une escroquerie aux monuments aux morts fait elle-même songer à une supercherie : tant d’attente et tant de talents conduisent à la déception. Demeurent néanmoins deux scènes qui empêchent de se montrer critique jusqu’au bout. D’une part celle du dîner en famille où un ancien soldat est reçu par le riche père de son camarade que chacun croit mort : pas d’effet, ici, mais une mise en scène qui touche juste. Et surtout la séquence d’ouverture, qui survole les tranchées pour accompagner un chien porteur de messages : rarement l’absurdité de la guerre, la contingence des positions et l’omniprésence du danger auront été rendus avec une si poignante intensité, malgré (ou grâce à) la simplicité du dispositif.
Au-delà de l’échec relatif d’une œuvre à ambition protéiforme, il est donc permis d’espérer encore dans la capacité d’Albert Dupontel d’atteindre à une profondeur véritable, sans doute à travers davantage de sobriété.
Denis DUPONT-FAUVILLE
24 novembre 2017
[1] Niels Arestrup au premier chef, mais aussi Laurent Laffitte ou Michel Vuillermoz, entre autres.
[2] Conclusion typique de notre hédonisme contemporain, mais sans lien nécessaire avec les destinées racontées.
[3] Malgré le talent d’Isabelle Carré, sa figure est purement conventionnelle et sans aucune épaisseur ; de même, la jeune adolescente, qui se voudrait un équivalent féminin de Gavroche, semble droit sortie d’un Amélie Poulain.
[4] Ou sadique, dans le cas de la religieuse infirmière.
[5] Par deux fois. Troublant aussi que la dimension homosexuelle de la relation entre les deux héros ne soit pas traitée autrement que sous la forme d’un roulé-boulé de jeu adolescent. Quant à la relation entre adulte et enfant, elle est pour le moins dépourvue de grâce et de spontanéité.