Birdman
Alejandro González Iñárritu
Alejandro González Iñárritu, 2015. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
La virtuosité technique au service d’une forme sans fond
Le film vainqueur des Oscars 2015 se présente d’abord comme un tour de force technique. Les 7/8 de sa durée constituent en effet un immense plan séquence sans solution de continuité apparente, nous menant, au sein du même théâtre, des coulisses à la scène, d’un couloir à un autre, de la cave au toit et même des loges à la rue.
Cette prouesse formelle vise à nous faire entrer à l’intérieur même du personnage principal. Ancien acteur vedette de films consacrés à un superhéros de comics, Birdman, le comédien Riggan Thompson tente son retour en haut de l’affiche, après 20 ans de vaches maigres, mais cette fois au théâtre, en adaptant à Broadway la pièce d’un auteur réputé difficile. Les interrogations succèdent aux remises en cause et les doutes personnels aux affrontements familiaux, la mise en scène formelle constituant dès lors un écho, ou un contrepoint, à l’itinéraire intérieur du héros.
Clin d’œil supplémentaire, l’interprète principal de cette introspection mouvementée, Michael Keaton, a lui-même endossé les habits de Batman dans la réalité. Cette mise en abyme se superpose au canevas principal, la fiction se démarquant alors à peine du réel, de même que, dans le scénario, les scènes de dialogue entre l’acteur et le héros d’autrefois alternent avec les conversations entre le père et sa fille. De même, la mise en scène minimaliste d’une pièce intimiste, à laquelle ramène inlassablement l’itinéraire complexe de Thompson/Keaton, n’exclut pas des séquences aux effets spéciaux spectaculaires et appuyés lorsqu’interviennent les créatures issues de l’heroic fantasy.
On le voit, l’ambition consiste à réaliser une œuvre d’art totale, tant par la continuité formelle qu’elle instaure entre des univers différents que par la métaphore qu’elle vise sur l’univers théâtral et par sa prétention de faire converger vers un seul personnage les aspects les plus variés et les plus complexes de la quête de soi et des autres par la réussite professionnelle et l’introspection intérieure.
Las ! Qui trop embrasse mal étreint. Au-delà de l’étonnement bientôt répétitif suscité par le passage d’un plan à l’autre, le spectateur voit défiler des scènes finalement attendues, sans réel rapport entre elles et surtout dépourvues de toute épaisseur humaine. À vouloir englober Carver, Shakespeare, les critiques de Broadway et les acteurs d’Hollywood, Iñárritu construit un système, certes brillant, mais ne réussit pas à conférer la moindre profondeur aux figures qu’il nous présente.
D’une certaine manière, le bât blesse au même endroit qu’avec Boyhood, film qui était en compétition avec Birdman pour les Oscars. L’œuvre part d’une intuition “technique” originale mais ne sert aucun propos véritable. Un performance encore jamais réalisée (filmer sur plus de 10 ans les personnages pour Boyhood, filmer sur plus d’une heure et demie une unique séquence pour Birdman [1]) n’aboutit qu’à l’expression… de rien. À cet égard, la dernière image du film, qui recourt à une solution digne des blockbusters les plus démagogiques pour résoudre ce que le scénario voudrait présenter comme un dilemme métaphysique, constitue une critique pratiquement sans appel. Malgré la performance d’acteur et l’exploit des techniciens, Birdman illustre une nouvelle fois qu’une combinaison formelle ne suffit pas à faire une œuvre d’art tant qu’elle ne mène pas ses spectateurs au-delà de ce qui n’est que techniquement maîtrisable.
Denis DUPONT-FAUVILLE
1er mai 2015
[1] Même si La corde (1948), de Hitchcock, peut être considéré comme une première tentative à cet égard.