Célébration régionale 2022 pour l’unité des chrétiens

Le mercredi 19 janvier 2022, une célébration a été organisée dans le cadre de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, au Temple de Pentemont.

Les textes bibliques ont été commentés par le père Guillaume de Menthière, représentant l’Administrateur apostolique du diocèse de Paris.

Les trois rois mages
par le père Guillaume de Menthière

Les mages partirent par un autre chemin (Matthieu 2,12) mais moi je n’irai pas par quatre chemins. Je vous parlerai sans ambages des trois rois mages de nos crèches familières et de l’iconographie classique. Je vous dirai qu’ils sont mages, qu’ils sont rois, qu’ils sont trois.

Des mages

Ce sont des mages tout d’abord. C’est à dire des hommes de désir, de-siderium, les hommes des étoiles. C’est en cultivant leur science profane, l’astronomie, qu’ils se sont mis en chemin vers le Christ. Aussi est-il urgent de le dire - tant nos contemporains sont généralement persuadés du contraire - science et religion ne sont aucunement antagonistes. Mieux nous connaîtrons la création et ses lois, mieux nous connaîtrons le Créateur et ses mystères, car comme dit l’Écriture : « La grandeur et la beauté des créatures font par analogie contempler leur Auteur » (Sagesse 13,5)

En ce moment un livre fait beaucoup parler de lui. Il est un best-seller inattendu qui a déjà dépassé les 100 000 exemplaires. Il s’intitule Dieu, la science, les preuves. Je l’ai lu. Je n’avais nullement besoin qu’on me prouvât Dieu, et je ne crois pas d’ailleurs que ce soit possible ni peut-être même souhaitable. En revanche le livre expose en sa première partie avec admiration l’extraordinaire connaissance du réel à laquelle les scientifiques sont parvenus de nos jours. Il est certain que les données actuelles ne permettent plus de traiter par-dessus la jambe, comme on a eu la tentation de le faire au XXe siècle, l’hypothèse d’une création. Les découvertes scientifiques les plus récentes sur le commencement du monde et le réglage fin de l’univers débouchent sur une certaine contemplation émerveillée qui nous met aux portes du mystère. Les perfections invisibles du Créateur se laissent voir à l’intelligence dans les perfections visibles de ses œuvres. (Rm 1,20)

Les mages ont regardé les cieux qui racontent la gloire de Dieu. C’est ainsi qu’ils ont pu se mettre en route et se rejoindre. Le chemin de leur convergence s’est enraciné dans cette contemplation. Précieuse leçon pour nos tous qui sommes en quête de l’unité ! « Ecarquille les yeux et regarde au loin ! » demandait le prophète Isaïe. Dilate ton regard. Emerveille-toi ! Scrute ! Vois plus loin que le bout de ton nez !

Les mages ont suivi l’étoile. Mais l’étoile n’a pas suffit. Après avoir consulté par la science le grand livre de la nature, il faut ouvrir un autre livre pour trouver le Messie. C’est le livre des Écritures. Pour aller à Jésus, il faut chercher le vrai avec sa raison, et accueillir la Révélation dans sa foi, inséparablement. Suivre l’étoile et s’arrêter à Jérusalem, c’est à dire passer par l’Ancien Testament. Après avoir ouvert les deux livres de la Création et des Ecritures, les mages ont adoré l’Enfant né de la Vierge. Dans la divine liturgie de saint Jean Chrysostome il y a ce moment remarquable où le prêtre déploie l’astérisque en forme d’étoile au dessus de la patène en disant : « Et l’étoile vint se placer au-dessus de l’endroit où était l’Enfant ». (Mt 2,9) L’enfant-Jésus trônait sans doute sur les genoux de sa Mère qui l’offrait à l’adoration des mages. Bienheureuse Vierge Marie, le plus bel ostensoir de la gloire divine ! Sainte Mère de Dieu qui brandit au dessus de nos fronts prosternés l’aube de vie qui se lève sur le monde !

Des rois

Mais les mages, outre qu’ils sont des mages sont aussi des rois. Grâce à Dieu et aux galettes, tout le monde connaît aujourd’hui les rois mages. Seule la liturgie des confiseurs, avouons-le, préserve notre société d’un oubli complet de l’Epiphanie. Sur la pente doucement irrésistible du sacré au sucré notre dévotion pâtissière rejoint la Tradition qui dès longtemps a vu dans les mages de l’Évangile les rois dont le psaume dit :
« Ils apporteront des présents / Ils se prosterneront devant Lui / Ils feront leur offrande » (cf psaume 71)

Quoi qu’il en soit historiquement de la dignité royale de nos étranges personnages, et en faisant la part du folklore, il est certain qu’il y a une portée éminemment politique à tous les récits de l’enfance. J’ose à peine le dire en ce début d’année électorale 2022.

En France, nous sommes tellement conditionnés par la laïcité que nous éprouvons une sorte de répulsion instinctive à tout mélange possible de la politique et de la religion. Il y a quelques années au Lycée Henri IV, des élèves de prépas étaient venus me trouver, brandissant sous mon nez leur sujet de philo : « La religion est-elle un phénomène politique ? » En bons élèves de l’école laïque, gratuite et obligatoire, ils avaient tous, bien entendu, répondu « non » à la question. Je ne suis pas parvenu à ébranler leur certitude en leur rappelant que dans le monde grec, chaque polis, chaque cité, avait son dieu et que la religion était d’évidence et consubstantiellement, si j’ose dire, un phénomène passablement politique.

J’aurais mieux fait, je le comprends aujourd’hui, de leur lire les évangiles de la Nativité. Quand Jésus y est proclamé Sauveur (Luc 2,11) n’est pas une claire allusion politique ? N’est-ce pas un titre impérial, Sôter-Sauveur qui est décerné au nouveau-né ? Ou encore lorsque le prophète Isaïe annonce la naissance d’un enfant en voyant se lever sur le peuple une grande lumière (Isaïe 9,1). N’est-ce pas précisément de cette manière qu’était proclamé l’avènement d’un nouveau Pharaon ? Le hiéroglyphe correspondant à l’accession au trône d’un roi d’Egypte représente le lever du soleil. Suivent les cinq noms du Pharaon. En plus de son nom propre le pharaon avait en effet une quadruple titulature. Exactement comme le Messie d’après Isaïe s’appellera Emmanuel mais aussi Conseiller Merveilleux, Dieu-fort, Père à jamais, Prince de la paix. (Isaïe 9,5). Quelle provocation à la face du pouvoir en place ! Isaïe, par un superbe pied-de-nez politique, donne à un bébé quatre titres doubles comme ceux dont se paraient les pharaons égyptiens ! Toute la puissance de l’Egypte, veut-il nous faire comprendre, n’est rien au regard de cet enfant.

L’insigne du pouvoir est sur son épaule et on affublera encore le garçon du nom de Maher-Shalal-Hash-Baz, ce qui signifie Prompt-butin-proche-pillage car on lui apportera avant même qu’il ne sache dire père et mère, les richesses de Damas et le butin de Samarie (cf Isaïe 8,1-4). Est-ce à dire, se demande Tertullien en raillant une exégèse littérale, que ce bébé va faire la guerre juché sur le dos de sa nourrice et armé d’un hochet ? Certes non. La prophétie se comprend lorsqu’on qu’on en publie l’accomplissement. Regardons les mages d’Orient comblant de leur or et de leur encens un Christ nouvellement né, et comprenons comment un bébé a reçu la richesse de Damas sans arme ni combat. Ce qui était écrit s’accomplit : les rois lui ont porté l’or d’Arabie (Ps 71,15) … Car chacun sait, écrit Tertullien, que l’Orient eut généralement des mages pour rois et que Damas était regardée comme terre d’Arabie… [1]

« Pourquoi ce tumulte des nations, ce vain murmure des peuples ? les rois de la terre se dressent, les grands se liguent entre eux contre le Seigneur et son messie… » (Psaume 2). Ces paroles du psaume messianique 2 semblent s’accomplir lorsque nous voyons Hérode conspirer la perte du nouveau-né de la crèche. Si imbu de sa personne aurait-il reçu les mages s’ils n’étaient que de simples savants orientaux et non des personnages de rang princiers ? Quelle dérision : ce roi fantoche tremble pour sa couronne ! Quelle terreur inspirera un jour le tribunal du Juge, alors que le berceau d’un petit enfant fait trembler les rois superbes sur leur trône ? Que les rois soient saisis de stupeur devant Celui qui est assis à la droite du Père, puisqu’un roi impie a tremblé devant celui qui était sur les genoux de sa mère ! Pauvre Hérode Celui à qui tu veux défendre de régner sur la Judée étend son règne partout jusqu’aux nations des confins de l’Orient ! « Maintenant rois, comprenez, servez le Seigneur avec crainte, rendez-lui hommage en tremblant » (Psaume 2,10-11)

Voici comment Dieu va tirer vengeance des nations pour la fierté de ses fidèles. (Ps 149) Voulez-vous voir cette vengeance à l’œuvre ? Souvenez-vous. Le livre de Daniel nous rapporte les démêlés de trois enfants hébreux et d’un roi païen. Shadrak, Méshak et Abed-Négo furent jetés dans la fournaise de feu pour avoir refusé de plier les genoux devant Nabuchodonosor (Daniel 3). Or voyez plutôt le retournement s’accomplir : trois enfants juifs ne s’inclinèrent point autrefois devant un roi païen, mais trois rois païens se prosternent aujourd’hui devant un enfant juif ! Voici le renversement par lequel Dieu tire vengeance des nations. Le seul Roi en effet était ce petit enfant juif, né de la Vierge Marie. L’amour invincible du Seigneur a fait cela.

Ils sont trois

Cette magnifique lecture patristique nous le fait comprendre : il convenait hautement que nos mages fussent rois et qu’ils fussent trois. Qu’ils sont sympathiques d’ailleurs dans notre imaginaire familier les trois bons rois mages issus de la diversité comme on dit aujourd’hui. Ils apportent un peu de mixité sociale à la crèche blanche et pauvre. Ils viennent d’Orient. Ce sont des curieux du lointain, ce sont des étrangers, des barbares, des païens.

La tradition les énumère. Ils sont trois. Ce chiffre précis n’est pas uniquement une conséquence des trois cadeaux princiers qu’ils portent : l’or, l’encens et la myrrhe. On pourrait être tenté de voir dans nos trois rois mages les représentants de nos trois traditions chrétiennes : catholiques, orthodoxes et protestantes. Ou bien d’y voir tout Israël selon cette parole du psaume : Berger d’Israël, manifeste-toi, epiphanise-toi devant Ephraïm Benjamin, Manassé (Psaume 80,2-3). Ou encore d’y voir Noé, Danel et Job, ces trois païens qui selon le prophète Ezéchiel auront la vie sauve quand le pays verra la perte de ses enfants (Ez 14,14-15). Mais le chiffre trois dit en fait la totalité car dans la symbolique biblique, toute l’humanité descend de Sem de Cham et de Japhet, les trois fils de Noé. Ces trois-là étaient les fils de Noé et à partir d’eux se fit le peuplement de toute la terre, dit la Genèse (Gn 9,19). Par leur nombre les mages disent donc le salut de tous les hommes. Car les païens eux-aussi sont associés à l’héritage promis. « la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes » (Tite 2,11) ? L’Epiphanie c’est la manif pour tous de la grâce divine. Le mystère de l’Epiphanie c’est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile. (Éph 3,5-6)

Quelle ouverture, quel élan, quelle envergure ! Je vous l’avoue, je rêve parfois d’un christianisme gigantesque. Il me semble souvent que les chrétiens sont un peu recroquevillés, morfondus, avec une petite foi mesquine et individuelle, comme si la grâce était un petit privilège donné à quelques uns, l’Eglise un étroit cabinet où des âmes d’élites se retranche pour se protéger des agressions du monde, comme si la foi n’était plus que ce mystère étriqué, raboté aux dimensions de nos petites jugeotes, ratatiné à notre mesure.
Et bien non ! « enfant de Dieu, l’univers est l’habitation de notre âme, les siècles la mesure de nos jours, le genre humain le compagnon et le théâtre de nos destinés, s’écriait Lacordaire, et il n’y a pas moyen d’être chrétien sans embrasser le monde dans son ambition, sans désirer ardemment ce jour où le Christ ramassera tous les hommes sous l’invocation de son Nom. »
Or l’épiphanie est la fête de cette dilatation. Elle est à Noël ce que la Pentecôte est à Pâques, ou encore ce que notre confirmation est à notre baptême : une caisse de résonance, la puissante orchestration du thème sublime qui n’a été que discrètement esquissé tout d’abord par le soliste.

À Noël, le salut est donné aux nations,
À l’Épiphanie, les nations sont données au Sauveur.

Recevons donc cette leçon de nos trois bons vieux rois mages : pour nous les hommes et pour notre salut, semblent-ils nous dire, l’amour de Dieu a dépassé les bornes. Amen.

Père Guillaume de Menthière

[1Tertullien, Adversus Marcionem, III,13 ; PL 2, 365

Comptes-rendus