Déplis du paysage - 2016
Martine Schildge
Face à l’église Saint-Séverin, la Galerie Saint-Séverin présente « Déplis du paysage », une exposition de Martine Schildge, artiste plasticienne. Sur une proposition d’Yves Sabourin, l’œuvre conçue spécialement pour la Galerie est visible jour et nuit, 4 rue des Prêtres-Saint-Séverin, Paris 5e. M° Cluny-la-Sorbonne, Saint-Michel.
– Déplis du paysage, détail, © Martine Schildge - ACF/P 2016.
– Vernissage le 23 juin 2016 de 19h à 21h
Déplis du paysage
Un sol de miroir qui nous abîme avec délectation en nous projetant dans la confusion de nos sens et nous laisse pénétrer dans Déplis du paysage de Martine Schildge. S’il est question du paysage pour cette mise-en-scène chez l’artiste, ce n’est pas anodin puisqu’il est un élément vivant et incontournable de son inspiration, au même titre que le corps humain. Depuis ses premiers travaux, ces deux thèmes pris de façon séparée ou réunie expriment parfaitement l’œuvre de l’artiste dans une recherche très sophistiquée qu’elle élabore avec des matériaux aux nombreuses teintes de blanc.
Dans l’histoire des arts, le corps et le paysage qui cohabitent souvent jusqu’au vertige sont des sujets essentiels à l’imaginaire des plasticiens et émaillent avec une singularité, toujours active, la culture occidentale depuis les peintures pariétales du Paléolithique où le sujet est « graphé » à même le paysage puisqu’à même la roche. Au 16e siècle, ils seront traités de manière théâtrale avec l’extraordinaire production de tapisseries dîtes aux Aristoloches, et plus précisément la tenture Les travaux d’Hercule où le héros, orné de ses symboles, se retrouve traité de la même façon que les feuilles d’acanthes gigantesques et la bordure débordante : il devient motif. Plus tard au 17e siècle, Nicolas Poussin (1594-1665) pose dans ses paysages la question du corps, faisant partie de la nature et de l’architecture comme Saint-Jean à Patmos (1640) en la présence de personnages, de notre Histoire, dépassés par la « nature mère » en taille et symboliquement. Plus proche de nous vers 1930, Francis Picabia (1879-1953) joue avec la transparence de l’aquarelle pour faire se confondre deux femmes et un paysage arboré et fleuri Transparence (Femmes et fleurs).
Pour Martine Schildge, lorsque le corps est son sujet principal, elle le représente de façon mentale puisque l’artiste exprime l’idée qu’un corps vivant peut être seulement une partie de notre anatomie, un organe qui a son autonomie propre comme dans ses Maison corps (2005-2009-2014) qui subissent, elles aussi, les angoisses ou les doutes de l’Homme. Lorsque le paysage est dressé dans une cartographie ou bien dans un plan-relief comme ses Topographia (2014), il exprime de nouveau le corps qu’elle ose fragmenter et redéfinir pour le recomposer visuellement de façon interrogative mais douce. Cette douceur est due aux matériaux qu’elle utilise et qui sont : la porcelaine, le feutre, les toiles de coton, divers tissus plus ou moins transparents, les silex aux rotules si humaines, et également la farine de blé — cette matière indissociable de l’Homme — d’un blanc naturel au pouvoir de compression étonnante.
La forme et les matériaux sont si ajustés que les couleurs sont mises à l’écart pour ne garder que le blanc.
Déplis du paysage est un lâcher prise de cette sophistiquée mutation des matières terrestres entre le corps humain et la nature cultivée où le blanc et le miroir nous interrogent sur la disparition sans pour autant effacer les sujets. Bien au contraire, la forme et la matière apportent une sérénité nécessaire à la contemplation. C’est également un dialogue car dans cette mise-en-scène tout est ouvert, comme ce paysage à l’horizon qui se déploie, et qui n’est autre que le reflet de cette pierre habillée sur mesure de feutre blanc à l’aide d’un point « cicatrice » pour renforcer son humanité.
Cet élément central qui se dresse bien campé sur son sol de glace nous offre, projeté dans le ciel, l’élévation de son reflet qui s’est naturellement muté en silhouette de maison. Une prouesse vertigineuse, un parfait effet baroque, qui n’est pas sans rappeler ce superbe plafond peint de Giambattista Tiepolo (1696-1770), le Soffito Degli Scalzi (1744), où dans les cieux nimbés d’azur et d’or s’élève la Vierge installée sur le toit de la Maison Lorette. Pour l’artiste, c’est une occasion de nous proposer une nouvelle interrogation, une perspective de l’esprit mais également des sens.
Pour Martine Schildge, le corps humain n’a pas besoin d’être représenté physiquement, il est autant la pierre que le feutre ainsi que le miroir : il est paysage.
Martine Schildge
Artiste plasticienne née à Paris en 1951, elle vit et travaille à Paris
L’univers de Martine Schildge, avant d’être une immersion dans le blanc, est inspiré par un regard porté sur le corps humain, un regard porté sur son propre corps physique en adéquation complète avec le corps mental. Le blanc, qu’il soit textile, pierre, terre, ou matière alimentaire comme la farine, est mis en relation avec la transparence du verre et son impression de fragilité, ou est encore ponctué de particules et de traces rouges.
Les installations de Martine Schildge font toujours corps avec l’espace. Dans un premier temps, l’artiste s’approprie le lieu et son histoire (carnets de croquis, photographies), avant d’y intégrer mentalement ses formes imaginaires. Verre, céramique, œuvres cousues main et brodées avec diverses matières : tulle, feutre, gaz, organdi, molleton…, de couleur blanche, suscitent toutes sortes d’interrogations et d’émotions.
– Le point de vue de Voir & Dire