Des laïcs, un film et un évêque

Paris Notre-Dame du 27 juin 2019

Près de deux cent fidèles se sont réunis, mercredi 19 juin, au cinéma “Les Cinq Caumartin”, pour visionner, ensemble, le film Grâce à Dieu, de François Ozon. La projection a été suivie d’un échange avec Mgr Thibault Verny, évêque auxiliaire de Paris en charge de la coordination de la lutte contre les abus. Un dialogue sans faux-semblant, en vérité, initié par deux paroissiennes de Ste-Marie des Batignolles (17e).

Salle comble, ce mercredi 19 juin, pour la projection de Grâce à Dieu suivie d’un échange avec Mgr Thibault Verny, évêque auxiliaire de Paris.
© Isabelle Demangeat

Noir. Le générique défile, sans fond musical. Silence sur l’écran, silence dans la salle, feutrée, du cinéma parisien Les Cinq Caumartin, 9e. Il est 22h30, deux personnes s’échappent discrètement. Une autre arrive. C’est Mgr Thibault Verny, évêque auxiliaire de Paris en charge, pour le diocèse, de la lutte contre les abus. Il a le visage grave, se présente, puis s’assied rapidement, un carnet dans la main. Histoire de pouvoir écrire plus rapidement les questions qui lui seront posées. Histoire de n’en oublier aucune. Histoire de répondre à toutes. Et elles fusent, ce soir, dans la salle remplie de deux cents fidèles catholiques. Sans gêne, sans faux-semblant, ils n’hésitent pas à demander le micro et à réagir au film qu’ils viennent de voir, Grâce à Dieu. Réalisé par François Ozon, il relate le combat judiciaire mené par des victimes d’abus sexuels commis par un prêtre du diocèse de Lyon, le P. Bernard Preynat, sur près de soixante-dix scouts, mineurs au moment des faits, dans les années 1970-1980. Il s’attarde sur le comportement de l’archevêque en place, le cardinal Philippe Barbarin. À l’époque de la sortie du film, mi-février, le procès a déjà eu lieu. Le procureur ne requiert aucune condamnation. Le 7 mars, le tribunal condamne en première instance le cardinal Barbarin à six mois de prison avec sursis pour non-dénonciation d’abus sexuels sur mineurs. Les avocats du primat des Gaules portent l’affaire en appel. Le procès devrait se tenir le 28 novembre prochain.

« Quid de la fiction, quid de la réalité ? » « Pourquoi le P. Preynat bénéficie-t-il de la présomption d’innocence alors que lui-même avoue sa culpabilité ? » « C’est la deuxième fois que je vois ce film et je suis toujours choquée de ce moment où l’institution ecclésiale demande à une victime présumée du P. Preynat de prier avec son agresseur… » « Quelle est la position de l’Église sur le pardon par rapport à la justice ? » « Pourquoi l’Église a-t-elle eu tant de mal à faire la vérité sur cette affaire alors que le discours évangélique prône justement l’importance de la vérité ? » « Le déplacement des prêtres ou religieux abuseurs est-il encore employé ? » « Comment initier un travail de fond pour éviter que ce type de situations ne se reproduisent ? »

Ces questions, ces interrogations, tant de fois posées en privé ou dans l’intimité des familles, éclatent dans la salle, ce mercredi soir. Les positions divergent, les avis aussi. Mgr Verny, prenant le temps de répondre à chaque question, ne donne pas de réponse définitive mais présente les initiatives prises par l’Église catholique et particulièrement par le diocèse de Paris [1], pour lutter contre toute forme d’abus en incitant au témoignage. Parfois, il avoue même ses questionnements. « Je viens vous parler en tout humilité », confie-t-il. Qu’importe, l’idée de cette rencontre, initiée par deux paroissiennes de Ste-Marie des Batignolles (17e), Valérie et Nathalie, était de libérer la parole, de « travailler ensemble pour reconstruire l’Église de demain et manifester auprès des prêtres [leur] soutien ». « Nous avons pris au sérieux l’appel du pape, lancé en septembre dernier, dans sa Lettre au peuple de Dieu, expliquent-elles en précisant, dans un sourire : vous n’avez pas fini de nous entendre. »

Isabelle Demangeat

[1Pour signaler un abus :
signalement@diocese-paris.net ; Lutte contre la pédophilie et les agressions sexuelles