Fatima

Marco Pontecorvo

Marco Pontecorvo, 2021. Critique du père Denis Dupont-Fauville.

Un Portugal à l’italienne

Un peu plus d’un siècle après les événements de Fatima qui, en 1917, marquèrent un tournant dans l’histoire de l’Église, voici un film à grand spectacle pour restituer le déroulement des apparitions de la Vierge aux trois pastoureaux portugais, Lucia, Francisco et Jacinta.

Non seulement l’idée est bienvenue, mais l’ensemble fait l’objet d’une reconstitution soignée. Les décors, les paysages, l’allure des personnages sont identiques à ce que nous transmettent les cartes postales de l’époque, d’ailleurs montrées dans le générique de fin. Nous entrons sans peine dans ce coin de terre reculé et dans un contexte social et politique désormais lointain, pour nous en découvrir étrangement familiers. Le film se centre surtout sur le personnage de Lucia, l’aînée des trois voyants, la seule à être parvenue à l’âge adulte. Les scènes de son enfance alternent avec celles où, devenue religieuse et septuagénaire, elle reçoit un journaliste aussi sceptique que passionné pour lui livrer son témoignage.

Une attention particulière est portée à ce qui dérange. Les apparitions ont été l’inverse d’un long fleuve tranquille : provoquant l’incrédulité de la hiérarchie, la persécution des autorités, la division dans les familles et la jalousie entre voisins éprouvés par le contexte de la guerre mondiale, elles ont constitué à leur manière, pour les enfants qui en ont été les sujets, un véritable parcours du combattant. Malgré la joie qu’elles provoquent et la constance du témoignage transmis par de petits paysans qui ne savaient pas mentir, elles continuent à porter leur lot d’interrogations, y compris pour Sœur Lucia, au soir d’une vie tout entière fondée sur leurs promesses. Si l’on ajoute la mise en œuvre de moyens importants, la présence d’une star comme Harvey Keitel et le charme des enfants, tous les ingrédients semblent donc réunir pour faire de ce divertissement familial une occasion idéale d’émerveillement et d’approfondissement. Hélas, l’ensemble souffre de trois défauts qu’il nous faut malheureusement mentionner.

D’abord le manque de rythme du scénario. Le démarrage est lent, certains préludes ou scènes d’apparitions se traînent, trop de pistes se perdent en route. Ainsi le journaliste enquêteur paraît-il découvrir des solutions à ses objections sans que l’on comprenne lesquelles, le maire laïciste disparaît du film au moment où ses convictions pourraient basculer, l’ange du Portugal surgit puis s’efface sans que son rôle soit élucidé.

Au-delà du rythme, la mise en scène présente un côté trop artificiel. Non seulement la version originale en anglais (!) nous frustre du côté “terroir” pourtant visé par le décor et les costumes [1] , mais les éclairages diffusent une esthétique italienne, avec des lumières veloutées et des intérieurs dignes d’une série télévisuelle [2]. L’objectif caresse longuement le visage d’enfant de Lucia, la chargeant d’une sensualité qui n’est pas de son âge et que ne rattrape pas la face austère de la Sœur cloîtrée. Quant aux scènes d’affrontement, elles souffrent d’un statisme encore accusé par une caméra trop virevoltante.

Enfin, la grande déception consiste dans l’aspect allusif de la divulgation du message. Rien sur les catéchèses angéliques, rien sur la demande de consécration du monde au Cœur immaculé de Marie et sur la mention de la Russie, rien sur la demande de réparation, sur le troisième secret ou sur l’accueil du message par les papes successifs (si ce n’est une photo de Jean-Paul II donnant la communion à Sœur Lucie).

Sans prétendre à l’exhaustivité, ces silences étonnent. En résumé, un spectacle dont on peut espérer qu’il fera connaître les apparitions de Fatima à un public plus large, mais qui exigerait de sérieux compléments. À la fois parce qu’une caméra plus sobre aurait gagné à filmer une vie plus exubérante et parce que les sous-entendus ou les non-dits, loin de faciliter la découverte, en diminuent quelque peu l’intérêt.

Denis DUPONT-FAUVILLE

[1Peut-on encore distribuer à grande échelle un film qui ne soit pas dans la langue de Shakespeare et de Superman ?

[2Pour ne rien dire de l’évocation de l’enfer, qui veut renvoyer à un tableau de la paroisse mais dont le style ferait plutôt songer à Intervilles.

Cinéma