Jésus l’enquête
Jon Gunn
The Case for Christ de Jon Gunn, 2017. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
La charge de la preuve
Jésus l’enquête, sorti l’an dernier aux États-Unis, appartient au genre en plein développement du film apologétique. Ce qui appelle à l’évaluer non seulement sur deux registres, mais aussi sur la façon dont ces registres (le cinéma, la foi) sont liés. En ce domaine, nous nous limiterons à quelques indications forcément parcellaires.
L’intrigue, « tirée d’une histoire vraie », nous présente Lee Strobel [1], jeune journaliste d’investigation au Chicago Tribune en 1980. Compétent, ambitieux, il vise l’efficacité, recoupe ses informations et se veut athée. Jusqu’au jour où sa femme bascule dans l’évangélisme. Pour la sauver de ce qu’il considère comme une secte, Lee va mener son enquête, ingénument persuadé qu’il lui sera facile de prouver que les récits de la résurrection du Christ relèvent d’un imaginaire superstitieux. Las, il va de plus en plus buter contre la vraisemblance de cet événement invraisemblable, jusqu’à se convertir à son tour.
Dans des décors délicieusement surannés (déjà !) de l’Amérique des années quatre-vingts, nous suivons à la fois son enquête auprès de divers spécialistes (exégètes, médecins, psychologues, etc.) et la tourmente que traverse son couple. Lee, de fait, est lui-même déchiré entre son amour pour son épouse et son irritation de la voir entrer dans une dimension qui lui échappe, paniqué de ne plus pouvoir regarder en face quelqu’un qu’il croit frappé d’aveuglement. À cela s’ajoutent, en parallèle, les tensions dues à une enquête sur un fait divers criminel qui vont éclairer la quête du héros.
Ceci permet au réalisateur d’éclairer plusieurs données. Tout d’abord, si rien ne nous permet de prouver la résurrection de Jésus, rien ne nous permet non plus d’incriminer une quelconque affabulation. Tant les récits de la Passion que leur transmission permettent de penser que nous avons affaire à des témoins oculaires ; tant les persécutions que les chrétiens ont dû endurer que leur attitude de fond (qui n’exclut pas les épisodes pécheurs) indiquent que nous sommes loin d’un simple cas d’autosuggestion. Diverses données concrètes, souvent méconnues du grand public, sont ainsi rendues accessibles. Enfin, la vie de foi n’est pas un chemin de roses [2] : celui qui devient croyant ne choisit pas forcément la facilité !
Si les acteurs sont souvent convaincants, la mise en scène n’excède guère celle d’un honnête téléfilm, sans grand relief. Mais le manque de profondeur du style fait paradoxalement ressortir le choc du message lui-même. Et le fait qu’il s’agisse d’une enquête déjà ancienne sur un événement lui-même antique permet un recul qui évite l’accusation d’une manipulation facile.
À partir du scénario, trois leçons au moins peuvent être tirées. D’abord, comme l’indiquent les toutes premières images [3], notre civilisation est issue à la fois de fondements rationnels et d’une expérience de l’amour : dès lors, nous ne pouvons ignorer ni la foi ni la raison. De plus, la recherche scientifique elle-même nécessite une honnêteté intellectuelle qui se conquiert parfois de haute lutte [4]. Enfin, quiconque s’abaisse au service de son prochain, même de façon erronée ou inconsciente, ne peut manquer d’avancer vers le Christ [5].
À titre personnel, nous retiendrons surtout de ce film l’avant-première que nous avons vécue dans une salle de plus de 700 places occupée essentiellement par des jeunes, catholiques et protestants pour la plupart, qui ne craignaient pas d’exprimer bruyamment leurs étonnements ou leur admiration. Spectacle inimaginable en France il y a seulement vingt ans et qui renforce l’exigence d’une production cinématographique de qualité, à la hauteur des attentes et des espoirs des générations nouvelles.
Denis DUPONT-FAUVILLE
26 février 2018
[1] Auteur du récit de sa conversion dans le livre The Case for Christ, publié en 1998 et devenu un énorme best-seller (traduit en français en 2001 sous le titre Jésus : la parole est à la défense). Le film s’en inspire.
[2] Les figures de l’infirmière à l’origine de la conversion de la femme de Lee, ou du collègue timide de bureau qui le mettra malgré ses sarcasmes sur une voie positive, l’incarnent avec humour.
[3] Les tours de Chicago, une lecture de la Torah, les images d’un mariage… La suite du film ne fera que développer.
[4] Dans son enquête policière, Lee s’apercevra qu’il a tiré des conclusions trop rapides ; dans sa quête exégétique, au contraire, il renâcle et refuse de tirer les conclusiosn qui émergent. Dans les deux cas, c’est l’humilité et le pardon qui permettront le dénouement : une nouvelle fois, la rigueur épistémologique est intégrée dans l’amour.
[5] Tout en croyant lutter contre le Christ (ou contre ses prétendus représentants), Lee se met en disposition de le comprendre : comme lui, il se donne tout entier pour sauver ceux qu’il aime !