L’édito de Mgr Benoist de Sinety du 5 mars 2020
RCF - 5 mars 2020
« Une jeunesse se meurt aujourd’hui aux frontières de notre continent. Et nous nous lavons sagement les mains, en cadence, comme on nous le recommande, désolés et craintifs. » À écouter cette semaine : “Comment rendre le ciel bleu ?”, la chronique de Mgr Benoist de Sinety, vicaire général, au micro de RCF.
Depuis l’apparition du coronavirus jamais le ciel de Wuhan n’a été aussi clair et l’air aussi respirable. Et jamais le climat sur notre continent n’avait été aussi lourd.
Les nuages semblent écraser notamment la frontière entre Grèce et Turquie.
Et pourtant, nous avions tout prévu : la chancelière allemande avait bien négocié avec le président turc. Elle avait entrainé à sa suite l’Europe toute entière : on allait voir ce qu’on allait voir, avec quelques milliards, les amis turcs nous permettraient de vivre avec bonne conscience dans nos frontières. Et tant pis si des millions de réfugiés, dont nous reconnaissons pourtant les droits la main sur le cœur, se retrouvent sans avenir et sans dignité. Tant pis si nous ne sommes pas pour rien dans l’implosion de leurs pays, en Irak ou en Syrie.
Nous avons accueilli, enfin certains ont accueilli, l’espace d’un été. Et puis c’est tout. Mais ne sommes-nous pas chez nous ? tant pis s’ils n’ont pas eu le temps de passer au bon moment, c’est comme ça !
– C’est malheureux mais que voulez-vous c’est ainsi ! On ne peut pas accueillir tous les malheurs du monde.
– C’est bien triste, et puis, finalement, sommes-nous vraiment sûrs qu’ils soient si malheureux ?
Nous, chez nous, nous avons nos soucis...
– En plus, vous comprenez, ils sont musulmans... qu’allons-nous devenir s’ils arrivent chez nous ?
Déjà des chroniqueurs se sont mis à l’œuvre et toute la dynamique destructrice de la peur se fait jour. On exhume de mauvais romans qui font frémir les beaux quartiers.
Les pauvres hères dorment désormais entre deux frontières, méprisés par les uns et redoutés des autres. Nos responsables les survolent en hélicoptères avant de disserter gravement sur les quotas et les capacités d’accueil.
Rien ne se passe. Il y a quelques jours un douanier aurait tiré sur un migrant, et l’aurait tué. Mais de tout cela il ne faut pas trop parler.
C’est déjà difficile de perdre son âme alors si en plus il fallait le faire savoir.
Aucune réflexion, aucune analyse : nos dirigeants sont muets et sidérés. Ils pourraient reprendre ces mots entendus naguère : « M Erdogan n’est pas un gentleman ». Et ils auraient raison.
Ils pourraient aussi, pourquoi ne pas espérer, regarder le drapeau étoilé de l’Europe. Contrairement à la bannière américaine, nos étoiles ne décomptent pas les Etats membres. Elles désignent une couronne. La couronne à laquelle la couleur bleue se réfère. Le drapeau de l’Europe, aux couleurs de Marie, est celui aujourd’hui qu’on fait flotter sur ces scènes ignobles.
Et cela ne nous fait rien ?
Une jeunesse se meurt aujourd’hui aux frontières de notre continent. Et nous nous lavons sagement les mains, en cadence, comme on nous le recommande, désolés et craintifs.
Si nous pouvions déjà comprendre que l’argent ne pourra jamais nous offrir la sécurité et la garantie dont nous avons tant besoin. Mais que le seul qui puisse nous la donner est Celui précisément qui se tient en ce moment même entre les barbelés, dans l’étranger que nous refusons de regarder, ou dans le malade que nous préférons maintenir à distance.
Si nous retrouvions ainsi ce qui a fait que notre drapeau puisse porter plus haut que tout autre une Espérance qui jadis féconda notre terre... alors notre ciel s’éclaircirait bien plus durablement que celui de Wuhan.