L’édito de Mgr Benoist de Sinety du 2 avril 2020
RCF - 2 avril 2020
À écouter cette semaine : “« Être né quelque part… » Il y a une chanson là-dessus… Depuis deux semaines, nous prenons sans doute davantage conscience de l’épaisseur du temps et de la densité de l’espace.”, la chronique de Mgr Benoist de Sinety, vicaire général, au micro de RCF.
« Être né quelque part… » Il y a une chanson là-dessus… Depuis deux semaines, nous prenons sans doute davantage conscience de l’épaisseur du temps et de la densité de l’espace.
Pendant des années nous nous sommes habitués à penser demain et à nous balader où bon nous semble, ou en tout cas où bon semblait à notre banquier ! Par exemple, combien sommes-nous à avoir déjà annulé un billet de train ou un billet d’avion, un week-end chez des amis, un pèlerinage, un camp ? Le PDG d’Aéroports de Paris confiait mardi matin à un journaliste que, probablement, la manière de voyager à la sortie du confinement serait radicalement différente, et que l’ère du week-end où on part d’un coup d’avion pas cher dans une capitale européenne, était derrière nous.
Nous voici désormais restreint au rayon d’un kilomètre de notre domicile, en résidence surveillée, pour notre bien. Pour notre bien, entendez-vous chers auditeurs : ce n’est pas rien. Quel est donc ce bien qui nous vaut une telle contrainte ? Notre santé et celle d’autrui d’abord. Mais à y bien regarder il y a peut-être un bien plus grand encore. Nous voici obligés d’apprendre à demeurer, à prendre un peu mieux la mesure, le poids aussi, de cette vie qui prend chair. Pour reprendre la formule d’Audiard, la vie de l’homme moderne semblait jusqu’alors être « éparpillée façon puzzle » : toujours haletants pour préparer demain, les yeux avides de découvrir des horizons nouveaux, nous finissions par ne plus voir, par ne plus écouter, par ne plus goûter la puissance du présent. Nous savions bien que nous étions nés quelque part, nous savions bien avec qui nous partagions nos vies, mais tout cela était étouffé par l’ivresse de pouvoir en quelques clics prévoir, programmer, rêver.
Nous pouvions, tout en téléphonant, acheter un billet de train sur Internet et en partager les horaires avec des amis, occupés de leur côté à réserver une maison pour ces quelques jours formidables que nous passerions ensemble dans deux ou trois mois. Nous pouvions, le soir venu, chacun sur son écran, regarder nos programmes les uns à côté des autres et non plus les uns avec les autres, nous évadant ainsi d’un décor que nous pensions familier mais que nous ne regardions plus vraiment. Et tout, d’un coup, est modifié. Nous nous réalisons hommes et femmes du présent, habitant un lieu précis de cette terre, en relation avec des vraies personnes qui partagent nos quotidiens, qui comptent sur nous et sur qui nous comptons. Parce que, finalement, la seule chose dont nous puissions être certains est celle-ci : ce visage qui me fait face, ce jour où je suis, ce lieu où j’habite, sont les seules réalités qui me soient données et sur lesquelles j’ai un peu de prise. C’est en elles que je peux trouver, vraiment, ma raison de vivre, ma joie et mon Espérance.
Source : https://rcf.fr/la-matinale/confinement-apprendre-demeurer