L’édito de Mgr Benoist de Sinety du 28 mai 2020
RCF – 28 mai 2020
Après le confinement si la prudence est de mise, la jeunesse n’hésite pourtant pas à se retrouver, une jeunesse sacrifiée qui fait face à une épreuve difficile : comment envisager l’avenir ?
« Ah dis donc, c’est ouf ce qui se passe »… Hier soir, dans un embouteillage dont Paris a le secret, la voix forte qui venait de prononcer ces mots me fit tourner la tête. Dans sa voiture, un jeune d’une vingtaine d’années décrivait la scène à laquelle nous assistions assez stupéfaits : des centaines, peut-être des milliers, en tout cas une foule immense assise en petits groupes sur les pelouses partageant un verre de rouge et un dîner champêtre. « Je te dis, ils sont nombreux… oui c’est en plein Paris… où ? Je sais pas : au centre, tout près des Champs-Élysées. Y a un grand château au bout. C’est ouf… »
En fait de château il s’agit des Invalides dont l’esplanade était couverte d’une foule jeune, riante, joyeuse. Quelques jours plus tôt les radios avaient commentées en boucle un match de foot près de Strasbourg, organisé clandestinement devant près de 500 jeunes. On le voit bien et le ciel bleu nous y entraine plus que de raison peut-être : il est difficile de suivre les règles d’une semi-liberté. Le déconfinement était attendu, souhaité par beaucoup, redouté par certains. Mais l’essentiel n’est pas de pouvoir simplement mettre le nez dehors et d’aller acheter autre chose que de la nourriture. L’essentiel, c’est de pouvoir se retrouver, se revoir « en vrai » comme disent les enfants. L’essentiel c’est de pouvoir de nouveau communier au bonheur simple d’être les uns avec les autres. Même sans se serrer la main, même sans s’embrasser, c’est infiniment plus fort d’être face à face et de rompre le pain l’un pour l’autre, de trinquer en levant ensemble son verre, que de le faire par écran interposé.
Bien sûr qu’il faut être prudent, bien sûr que la première responsabilité de chacun est de prendre soin de l’autre. Et prendre soin cela veut dire d’abord ne pas mettre en danger autrui. Mais ce que montrent ces rassemblements interdits et devant lesquels nul ne sait très bien quoi faire, c’est qu’au plus profond de notre humanité il y a ce désir irrépressible de se retrouver non pas pour braver des directives, mais simplement parce que c’est cela qui rend heureux. On nous annonce des mois à venir redoutables, des larmes et des ruines, du chômage et des faillites, des vacances étranges et une rentrée déroutante. Devant cet apocalypse programmé, il est finalement assez logique que l’instinct pousse beaucoup, et notamment ceux dont les 20 ans semblent en périls, à chercher à conjurer le sort en s’évadant ensemble du désastre prophétisé. Pour ceux d’entre nous qui, comme moi, ont dépassé cet âge depuis quelques dizaines d’années, essayons juste un instant de nous imaginer aujourd’hui, à la veille de passer notre Bac ou un examen d’étudiant, imaginons-nous être à deux mois de démarrer notre vie professionnelle. Il y a trois mois, toutes les promesses nous étaient faites. Et l’on nous recommandait avec nonchalance de profiter de tout, en tout temps et à tout prix. On nous présentait un monde dans lequel nos avions grandi, où tous les rêves étaient possibles, les désirs excusables, les caprices pardonnés. Et voici qu’en un jour tout prend fin. Le rideau tombait et plus rien n’existait. Plus de stage, plus de concours, plus de projets… tout devenait précaire. En fait, tout l’était déjà mais nous n’en savions rien et l’on se gardait bien de nous le faire comprendre. La fragilité n’était pas de mise, pas plus que ne l’étaient l’ascèse même la patience.
Voilà donc cette jeunesse qui se croyait gagnante et qui se découvre en ces jours, suspecte de propager un virus sournois, inquiète de ne plus se situer dans l’avenir du monde et contrainte comme tout un chacun d’accepter une vie sociale d’un coup froide et hygiéniste. Profondément sécularisée, comment cette génération va-t-elle comprendre et vivre cette épreuve qui la contraint à un bouleversement dont nul ne peut dire aujourd’hui les effets ? A n’en pas douter, il y a là un défi formidable pour toute notre société, et singulièrement pour notre Église dont bien peu se réclament tout en aspirant, pour beaucoup à des idéaux que, faute de mots et de concepts, ils peinent à désigner.
Source : https://rcf.fr/la-matinale/generation-covid