L’édito de Mgr Benoist de Sinety du 17 septembre 2020
RCF – 17 septembre 2020
Le Père de Sinety évoque un concept étonnant : "le voyage pour nulle part" lancé par certaines compagnie aériennes. Un symptôme de l’état actuel d’un monde qui cherche son chemin.
Rappelez-vous c’était il y a six mois, autant dire un siècle : c’était l’époque des voyages en avion. Vous savez, l’avion : ce long tube de métal avec des réacteurs et des sièges au confort variable. En quelques heures, il était possible d’aller d’un bout à l’autre de la planète. Rappelez-vous aussi du vertige qui vous saisissait peut-être à l’époque, devant les tableaux lumineux indiquant les vols en partance et leurs destinations : où aller ? New York ? Tokyo ? l’Australie ? l’Afrique ? loin ou tout près ? quel pays visiter ? Il fut un temps où l’illusion du « tout est possible » fonctionnait plutôt bien. Et à défaut de pouvoir se payer le billet de nos rêves, on pouvait toujours y penser et rester, rêveur devant ces grands tableaux. Désormais les aérogares sont quasi déserts et les vols qui se comptaient en centaines se dénombrent sur les doigts des deux mains. Les continents se ferment. Le virus est passé par là.
Ainsi donc, jusqu’en mars on partait quelque part. Désormais on est invité à demeurer chez soi. Sauf que… sauf que certains tentent de mettre en place un nouveau concept : le voyage pour nulle part. Singapore Airlines y songe sérieusement et la compagnie japonaise ANA l’a déjà en catalogue : un billet avec comme destination « nulle part ». Le principe consiste à décoller, à voler quelques heures et à revenir là d’où l’on est parti. Une ballade dans les airs en quelque sorte. Des enquêtes marketing ont mises en lumière que près de 75% des personnes interrogées se déclaraient intéressées par cette proposition. On reste interdit devant l’engouement apparent que provoque un vol long, durant lequel on reste assis sur des sièges étroits et inconfortables à déguster une cuisine de barquettes en aluminium… sans parler des secousses et des déplacements interdits en cabine, tout ça avec masque obligatoire !
On peut aussi se demander si finalement, cette destination kafkaïenne n’est pas une sorte de reflet de l’état de notre monde. Il suffit, par exemple, de s’arrêter un instant sur la situation des orphelins de Moria, ce camp en cendres de l’île grecque de Lesbos. Il aura fallu plus d’une semaine pour que les Etats d’Europe, et encore l’Allemagne surtout, déclarent accueillir quelques dizaines ou quelques centaines d’entre eux. Laissant aux Grecs le soin de s’occuper de la masse. Ce qui n’empêche pas dans le même temps les mêmes qui n’osent pas prendre de décision par peur de s’engager, de continuer d’asséner des leçons au monde et à leurs concitoyens sans jamais prêcher par l’exemple. Après avoir promu l’illusion du « tout, tout de suite », nous voici face à « Destination : nulle part ! » : quel vertige !
Que ceux qui croient à un autre chemin le disent avec force et s’y engagent résolument. Cette civilisation de l’Amour que le Christ nous invite à bâtir avec lui, nous le savons, ne se construit pas en un jour. Mais le chemin qui nous y mène nous conduit en un bonheur que nul ne peut décrire et dont la réalité est infiniment plus certaine que les plus beaux paysages.
Source : https://rcf.fr/la-matinale/partir-vers-nulle-part