L’édito de Mgr Benoist de Sinety du 19 novembre 2020
RCF – 19 novembre 2020
Mgr Benoist de Sinety appelle aujourd’hui à ne pas céder à la tentation de chercher des responsables à nos maux et nos difficultés.
Lorsque la nuit tombe sur nos cités, n’y demeurent dehors, silhouettes fragiles, que ceux qui ne savent où se reposer. Sans abri, pour lesquels la vie s’arrête lorsque nos téléviseurs s’allument, mais aussi, de plus en plus nombreux, ceux qui ne parviennent plus à supporter la violence de ce silence, la brutalité de cette incertitude.
Ils sont là, parfois, marchant un peu hagards avant de retourner chez eux, sans personne à qui confier le vertige qui les saisit devant un compte en banque en rouge, devant des traites à payer, devant le chômage d’un enfant, la faillite d’un commerce, la maigreur d’une pension pour compenser le déficit d’un enfant… Ils sont jeunes aussi, vieux aussi, ils sont de tous les âges et, de plus en plus, de tous les milieux. Touchés en plein cœur ou compagnons proches de ceux qui le sont. Ils n’ont pas la force de crier, de revendiquer des droits, ils n’ont souvent même pas de révolte, juste du chagrin. Étudiant solitaire privé de job alimentaire, salarié de grands hôtels qui ne sont plus que de splendides coquilles vides, intérimaire ou autoentrepreneur en déroute, commerçant d’une vie de labeur, retraité qui se pensaient à l’abri : un peuple qui souffre en silence.
Depuis le printemps dernier on annonce un chiffre qui vaut bien des discours : 700.000. C’est le nombre de nouveaux patients qui se sont vues prescrire des traitements contre l’anxiété. Nos grandes villes sont devenues avec le temps de magnifiques paradis pour célibataires : mais quand les lampions s’éteignent que reste-t-il de vivant ?
Cette année, les lumières de Noël ne sont pas encore bien installées, les vitrines des magasins peinent à faire scintiller les milles promesses d’un avenir radieux. Et d’ailleurs qui s’aventurerait à y croire désormais ? Même les enfants découvrent que la vie n’est pas en un éternel amusement et que la fragilité de notre condition ne saurait être masquée par les plus beaux atours d’une consommation débridée. L’horizon d’un "Black Friday" qu’on nous présente comme un enjeu commercial majeur ne saurait suffire à ensoleiller notre avenir commun.
Comment être auprès de tous ceux-ci des témoins de l’Espérance d’un monde nouveau ? Il est frappant de constater combien, à chaque instant majeur de nos existences, lorsque le défi est immense, le combat s’intensifie en nous entre l’homme ancien qui veut à tout prix résister et l’homme nouveau qui aspire à ne chercher qu’en Dieu son refuge et à oser du même coup se risquer à vivre davantage. C’est ce combat qui peut nous pousser aujourd’hui à publiquement nous renier en nous dressant, ennemis les uns des autres. Ne voyons-nous pas que c’est le Mal qui nous pousse à regarder le frère comme hostile, à durcir notre langue jusqu’à en chasser la plus infime trace de charité ? Ne devinons-nous pas le délice du Père du Mensonge qui nous entend décréter qui est fidèle et qui ne l’est pas, qui est digne et qui ne l’est pas ?
Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins : devant un système en déroute et au milieu d’une humanité sans repère. Et nous sommes nourris de la Parole de Celui qui se présente comme le Chemin qui mène à la Vie. Comment pourrions-nous ne pas être les premiers, confiants dans la capacité de Celui en qui nous croyons de pouvoir nous donner sa force quelles que soient les circonstances, à accepter de le suivre là où il nous appelle ? Nous n’avons pas à choisir nos déserts mais à croire que, quel qu’il soit, nous y recevrons notre pain quotidien nécessaire à accomplir la mission reçue.
Il ne me semble pas que l’Évangile fasse de nous des hommes appelés à trouver des responsables aux maux de leurs époques. Il nous invite plutôt à renoncer aux vaines querelles épuisantes et stériles, et à nous concentrer sur ce qui fait l’Essentiel : manifester qu’il n’y a pas de désert où Dieu ne puisse se révéler. Que dans cette épreuve de vérité, nous restions fidèles à Celui qui commande d’aimer, quoiqu’il en coûte, et au-dessus de tout autre impératif ; en demandant justice, non d’abord pour nous-mêmes, mais pour ceux qui n’ont pas la force de le faire, et en œuvrant sans relâche, quoiqu’il en coûte, pour ainsi construire le Royaume.
Source : https://rcf.fr/la-matinale/dans-le-desert