L’édito de Mgr Benoist de Sinety du 3 décembre 2020

RCF – 3 décembre 2020

Face au besoin de garder distance à cause de l’épidémie et à la méfiance concernant l’inconnu, Mgr Benoist de Sinety appelle chacun à rester dans l’échange avec autrui.

"Pardon Monsieur, je peux vous demander quelque chose ?" La petite voix me fait sursauter. Elle me dérange aussi dans ma marche rapide vers un rendez-vous où je sais déjà que j’arriverai en retard… Mais bon, nous sommes sur le parvis de la cathédrale, il est midi. Après tout, il faut quand même se résoudre à appliquer parfois le commandement de la charité que je prêche tous les jours…

Alors je me retourne : "Je vous en prie Madame". "Quel est votre métier s’il vous plait ?" L’écharpe qui cache la petite bande blanche empêche la passante de voir cette carte de visite ecclésiastique… "Je suis prêtre". "Ah, ça c’est formidable… Pourriez-vous prier pour moi ? je dois trouver en urgence un logement et j’ai vraiment besoin de prier parce que là ça va pas du tout".

J’ai à peine le temps de bredouiller deux trois mots pieux, l’assurant qu’elle peut compter sur moi. Mais aussitôt elle repart, d’un pas joyeux, presqu’enfantin. Je la suis longuement du regard, descendant le quai tout proche, elle qui n’a pas de maison mais qui sait maintenant qu’elle sera entendue.

"Nous ne sommes pas nés pour la connexion mais pour l’échange" : la formule est du Pape François. Elle résonne aussitôt à ma mémoire : dans son dernier livre, paru hier "Un temps pour changer", il écrit : "La distanciation sociale est une mesure nécessaire dans une pandémie, mais elle ne peut pas durer sans éroder notre humanité" (François, Un temps pour changer, p.39).

Elle n’a pas transgressé d’interdits sanitaires, cette dame inconnue qui m’attrape par la manche et me parle sans ambages. Elle a simplement parié, comme par réflexe de survie, sur le contact humain. Vous imaginez un monde où nous nous interrogerions les uns les autres dans la rue : "vous n’avez pas un logement ?", "vous connaissez une bonne école où inscrire mes enfants ?", "vous savez où trouver un bon boulanger ?"...

Je vous vois déjà sourire devant ma naïveté : décidément ces curés, ils ne sont pas dans le monde réel. Ils ignorent combien nous devons être prudents devant l’inconnu qui frappe à notre porte. Combien il nous faut nous protéger devant ce qu’il peut provoquer par sa seule demande, de désordre dans nos vies… L’homme raisonnable est bien celui qui se méfie, qui commence par douter de la bonne foi d’autrui plutôt que de lui faire crédit de la sincérité.

Nous sommes tous assommés de chiffres et de vidéos qui nous invitent à garder nos distances. Mais ces films-là, ces chiffres-là, sont-ils bien le reflet de la réalité ? N’en sont-ils pas plutôt des exceptions spectaculaires ? Que les risques de la contagion soient réels, seuls les fous en doutent. Beaucoup, Dieu soit loué, le comprennent et les mettent en pratique. Prenons garde cependant de ne pas aussi bâillonner nos oreilles, nos yeux et ligoter nos mains aux appels de nos frères…

Et si ces temps qui s’ouvrent devenaient un temps de l’échange, de la rencontre, en bref, un temps enfin humain ?

Source : https://rcf.fr/la-matinale/nous-ne-sommes-pas-nes-pour-la-connexion-mais-pour-l-echange

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