L’édito de Mgr de Sinety du 23 mai 2019
« L’avis de la cour d’appel concernant Vincent Lambert n’aurait dû s’accompagner d’aucun commentaire, en tout cas d’aucun cri de victoire. ». À écouter cette semaine : « Vincent Lambert, le silence bienveillant de la prière ». Mgr Benoist de Sinety, vicaire général, donne son regard sur l’actualité au micro de RCF.
Sommes-nous devenus tous collectivement les acteurs d’un reality-show ? Sommes-nous devenus à ce point des enfants que nous ne puissions envisager notre existence que comme une compétition sportive ? Ainsi une décision de justice concernant la vie d’un homme devient une "remontada"… Ainsi la réparation d’une cathédrale doit s’assujettir à un calendrier olympique.
Certains diront qu’il s’agit là de propos de grincheux ou de pessimiste. Il me semble, au contraire, qu’il y a la matière à des paroles sérieuses. Non tout n’est pas léger, ni ludique, ni cool.
L’avis de la cour d’appel concernant Vincent Lambert n’aurait dû s’accompagner d’aucun commentaire, en tout cas d’aucun cri de victoire. Comme les décisions antérieures d’ailleurs. D’abord parce que cette affaire relève de l’intimité d’une famille, confrontée à la souffrance absolue de ne plus savoir entre la mort et la vie, entre la vie et la mort, ce qui est et ce qui n’est pas.
Famille déchirée entre l’épouse qui veut faire respecter ce qu’elle croit être la décision de son mari, et absolu refus d’une mère de voir mourir son fils. Une famille qui a cru qu’en médiatisant sa propre tragédie elle trouverait un chemin pour sortir de son chagrin, qu’en prenant à partie l’opinion elle y trouverait un juge plus sûr et une sagesse plus grande. Et pour laquelle il n’y a plus qu’une chose à appeler : le silence bienveillant de la prière afin que soit vécu ce qui doit l’être et qu’on laisse ces gens en paix.
Le calendrier architectural autour de Notre-Dame ne saurait quant à lui, dépendre du Comité Olympique. Cette cathédrale est une église. Une église catholique, ce qui signifie au passage qu’elle est ouverte à tous : d’ailleurs tous s’y rendaient, sans qu’on ne songeât jamais à demander à quiconque sa foi ou sa date de baptême.
Tous y confiaient au détour d’une chapelle, leur amour, leur chagrin, leur espoir ou leurs larmes. Elle rouvrira ses portes au culte pour lequel elle fut édifiée bien avant que la flamme ne soit allumée au cœur du stade de France. Et puis progressivement, au rythme des Compagnons du Devoir, elle retrouvera dignement son visage de toujours.
Qu’il s’agisse donc du sort d’un homme ou de celui des pierres, il me vient une question, qui, je l’avoue, me taraude et me déroute aussi : ne risquons-nous pas d’oublier dans ces débats qui nous agitent tant, le sort de milliers d’autres qui dorment à nos portes ?
Je parle, littéralement, de ceux qui dorment, faute de toit, aux seuils de nos immeubles, de ceux qui la nuit se font attaquer par des rats, de ceux qui errent, perdus, tendant la main devant nos vitres levées.
Pourquoi sommes-nous si prompts à voter des lois d’exception pour sauver une cathédrale et si lents à abriter ceux qui sont à la rue ? Pourquoi sommes-nous si volontaires pour donner notre avis sur ce qu’il doit advenir d’un homme que nous ne connaissons pas, et si timorés à relever celui que nous croisons chaque jour sur notre chemin quotidien ?
Sommes-nous plus à l’aise dans les débats virtuels que dans l’action concrète, et sommes-nous plus enclins à voir dans les pierres minérales le lieu de notre culture, que dans les pierres vivantes le visage de notre foi ? Dieu nous garde de ne pouvoir répondre, collectivement et personnellement, à ces questions si vives…