L’édito de Mgr de Sinety du 28 mars 2019
« A l’origine, cette petite machine s’appelait un "téléphone" : elle avait pour but de nous mettre en relation avec des gens bien vivants. (…) Ce petit boîtier est devenu la boîte d’où jaillissent sollicitations et informations souvent urgentes, parfois stressantes, rarement heureuses… » À écouter cette semaine : "Les mots demeurent, leur contenu évolue". Mgr Benoist de Sinety, vicaire général, donne son regard sur l’actualité au micro de RCF.
"En cas de nouveaux attentats, un Français sur deux serait favorable à un militaire à la tête du pays". "Une humoriste raconte la violente agression dont elle a été victime avec son copain à Paris". "Harcelé à l’école un enfant de 10 ans s’est pendu chez lui".
"Agressés après des rumeurs de rapt d’enfants, les Roms de banlieue parisienne s’organisent…"
A l’origine, cette petite machine s’appelait un "téléphone" : elle avait pour but de nous mettre en relation avec des gens bien vivants. Pour cela il suffisait de composer un numéro qu’on avait appris par cœur quand il était celui d’un être cher, ou qu’on avait noté sur un bout de papier ou un carnet…
Voici maintenant que l’objet nous sollicite toute la journée non pas tant par des appels d’amis ou de relations, mais par des dépêches, des avis qui s’affichent sur l’écran sans qu’on n’ait vraiment conscience ou mémoire de les avoir sollicités. Ce petit boîtier est devenu la boîte d’où jaillissent sollicitations et informations souvent urgentes, parfois stressantes, rarement heureuses…
A l’origine, instrument de mise en relation voici notre téléphone devenu aujourd’hui la porte par lequel le monde débarque sans crier gare dans notre vie et, il faut bien le dire, rarement sous son meilleur jour. Vous avez intérêt à être de bonne humeur et avoir bon moral car à chaque heure l’annonce d’un nouveau problème ou d’une nouvelle catastrophe pour laquelle vous n’avez ni solution ni explication. Reste pour les plus chanceux la prière !
Pourquoi vous parler de cela ? Parce que nous sommes à un moment où les mots demeurent mais leurs contenus se modifient sans que nous y prêtions attention. C’est un peu comme le mot « rue » : jusqu’à un temps récent, ce mot évoquait pour les urbains, et pour le Parisien que je suis, un lieu de circulation et de trafic. Aujourd’hui il est synonyme de chaos, de travaux et d’immobilisme, où la rage s’empare du cœur des plus patients (dont je ne suis pas !) et où le désarroi s’exprime en coups de gueule et dans la fureur de klaxons !
C’est ce changement lexical qui nous pèse aussi un peu : cette évolution est toujours, non plus le fruit d’un usage populaire qui évolue, mais imposée de l’extérieur sans que nous ayons à donner ni avis ni adhésion à ce que l’on pense meilleur pour nous et que nous sommes invités à trouver formidable.
Il y a bien des résistants à ces changements tyranniques : ainsi ceux qui refusent de céder leur vieux Nokia pour un Iphone dernier cri : mais ils courent le risque d’être de plus en plus en difficulté dans l’univers du virtuel et du dématériel. Il y a aussi ceux qui résistent en continuant de considérer que la rue doit rester ouverte et fluide à la circulation : mais eux circulent avec des gyrophares et courent le risque de devenir assez vite aux yeux de leurs congénères un peu obsolètes…