L’édito de Mgr de Sinety du 31 octobre 2019
« Le monde agricole traverse une crise depuis des années, et semble de plus en plus isolé des préoccupations urbaines ». À écouter cette semaine : “Labourage et pâturage : la fin des mamelles de la France”, la chronique de Mgr Benoist de Sinety, vicaire général, au micro de RCF.
Il y a vingt ans dans un petit village du sud de l’Inde, un petit paysan me posait cette question : « combien y a-t-il de paysans en France ? »
« A peine 4% des Français cultivent la terre » répondis-je
A peine avais-je prononcé ces mots qu’il eut un sourire incrédule : « Mais alors comment pouvez-vous vous nourrir ? ».
Je songeais à cette conversation l’autre matin en écoutant à la radio des commentaires sur les films les plus vus aujourd’hui dans notre pays. Parmi eux, le film d’Edouard Bergeon, « Au nom de la terre » a dépassé le million d’entrée et continue d’attirer un public nombreux. Il raconte la descente aux enfers d’un agriculteur poitevin, jusqu’au suicide.
Un paysan se suicide chaque jour au pays dont les deux mamelles furent jadis, lorsqu’on apprenait l’histoire de France, le labourage et le pâturage. Un par jour…
Au sujet du film, pour une personne qui s’est déplacée pour le voir dans les grandes villes, on compte 17 personnes dans le reste du pays. Un quota de 1 pour 17. Alors qu’un film à succès habituel voit un ratio nettement plus faible : 1 urbain pour 3 ou 5 en ruraux.
Et de source fiable, les cinémas de petites et moyennes villes font encore salles combles alors que les cinémas des centres villes de grandes agglomérations l’ont déjà déprogrammé.
Qu’il y ait un décalage entre urbains et ruraux dans notre pays cela ne fait aucun doute et la crise des gilets jaunes de l’an dernier l’a fortement souligné. Mais ce décalage se creuse de plus en plus. Et se transforme en ignorance.
En fait, nous, gens des grosses villes, ne savons quasi rien de ceux qui labourent et moissonnent. Et ce que nous en voyons, souvent nous permet de les juger et de les critiquer avec l’arrogance de ceux qui savent et de ceux, aussi, qui possèdent.
La diminution du nombre des agriculteurs, la fragilité de la condition de la plupart d’entre eux, souvent, nous nous en fichons. Cela nous parait si loin, si distant, si étrange. Autrefois gavés de subventions, les voici désormais suspectés d’empoisonner les sols. Mais nous sommes-nous une seconde posés la question du « pourquoi » ? Nous qui avons le sentiment dans les étals de nos supermarchés de pouvoir tout trouver tout le temps et à prix accessibles. Quelle conscience avons-nous de ceux qui produisent et fabriquent ?
On peut toujours discourir sur le fait de verdir Paris et de planter des potagers dans les cours de nos immeubles, on peut jouer au fermier en rentrant du bureau avec un arrosoir acheté au BHV… Tout cela est certainement très sympathique et charmant.
En 2016 le Pape déclarait qu’un « crime contre la nature est un crime contre nous-mêmes et un péché contre Dieu ». En cette veille de Toussaint, il est question d’un nouveau péché « contre la nature ». L’individualisme ou l’indifférence qui nous font regarder la réalité comme des spectateurs, comme sur un écran nous rend ignorant de ce qu’est la nature. Puisque la fête de tous les saints est pour chacun un appel puissant à le devenir, il nous faut donc vivre, comme nous y appelle le synode sur l’Amazonie qui vient de se conclure, une véritable conversion écologique centrée sur la responsabilité et sur une écologie intégrale qui place au centre avant tout la dignité humaine, trop souvent piétinée.