L’édito de Mgr Benoist de Sinety du 5 décembre 2019
« C’est comme si nous acceptions de laisser notre vie collective aux mains de démiurges qui pour mieux nous anesthésier ne cessent de nous proposer le grand frisson par procuration. » À écouter cette semaine : “Grève : sortir d’une société du spectacle ”, la chronique de Mgr Benoist de Sinety, vicaire général, au micro de RCF.
Ça y est : c’est le jour, le moment tant attendu. Cet instant qui depuis des semaines voire des mois occupe tant de débats, tant de chroniques… Ce temps qui, investi d’un poids si lourd, paraît devoir se figer. Le jour G : le jour de grève ! Que va-t-il donc se passer ?
De partout les prédictions les plus sombres agitent les langues. On nous promet de la violence, du sang, des larmes, de la poussière… On nous annonce des cortèges immenses, et l’on se plaît à se faire peur.
Nul ne sait à cette heure comment cette journée et les suivantes se dérouleront. Nul ne connaît le résultat des mobilisations et ce que leur importance provoquera comme réaction politique, ou pas.
À Dieu ne plaise que ne se réalisent les images tant attendues par certains, souvent pour des considérations bassement mercantiles liées à la publicité qu’ils diffuseront entre les scènes prises en direct par des caméras avide de sensationnel.
Mais il est de plus en plus étrange, voire déroutant, de constater combien il nous est devenu indispensable dans notre vie sociale, d’être guidé par la peur de la violence à venir.
D’où nous vient cette attente, frénétiquement redoutée de la violence qui monte ?
Et cette cécité qui réduit notre champ de vision à ce qui se passe au bas de notre porte, ignorant de plus en plus tout ce qui se passe de grave, de vraiment grave en d’autres lieux du monde. Un narcissisme nouveau est devenu la règle : « parlez-moi de moi, il n’y a que ça qui m’intéresse » se décline maintenant de manière plus collective : « ne nous parlez surtout pas d’autre chose que de ce qui se passe chez nous car cela nous ennuie ».
Fascinés devant les secousses qui traversent notre pays, nous ne savons plus les relier à une histoire plus vaste. Seules comptent ces secousses, elles nous fascinent, morbides, elles nous envoutent. Nous en sommes à compter les minutes qui nous séparent du grand BOUM en espérant que l’écran de notre portable nous protégera de ses éclats ravageurs.
Comme s’il ne nous restait que la peur pour guider nos existences.
Entendons-nous bien, je ne souhaite ni commenter les motivations des manifestations et des grèves actuelles ou à venir, ni donner mon opinion sur leur bien-fondé. Car ce qui me préoccupe ici c’est véritablement cette dramatisation de l’actualité de plus en plus scénarisée et mise en scène pour que nous la contemplions sur nos écrans comme un spectacle. C’est comme si nous acceptions de laisser notre vie collective aux mains de démiurges qui pour mieux nous anesthésier ne cessent de nous proposer le grand frisson par procuration.
Seigneur, là où il y a la peur, que nous puissions porter au monde le visage apaisé de celle qui a cru en ta parole et qui porta en son sein le prince de la paix, porteur du seul grand Jour à venir.