L’édito de Mgr de Sinety du 7 février 2019
« Ce mardi à Abu Dhabi le Pape et Cheikh Al-Tayeb ont posé un geste prophétique. (...) En affirmant la prépondérance de la fraternité humaine, ils nous renvoient à cette réalité que nous sommes toujours prêts à revendiquer pour nous-mêmes et moins facilement pour autrui. » Chaque semaine, Mgr Benoist de Sinety, vicaire général, donne son regard sur l’actualité au micro de RCF.
Ce mardi à Abu Dhabi le Pape et Cheikh Al-Tayeb ont posé un geste prophétique. Avec toutes les conséquences que chaque prophète connaît bien et que Jésus résume dans la formule évangélique : "nemo propheta acceptus est in patria sua", ce qui en bon français se traduit par : "Aucun prophète ne trouve un accueil favorable en son pays" (Luc 4,24).
Déjà sur les forums on sent un léger frémissement : "le Pape a signé avec un représentant de l’Islam une Déclaration commune ?, oublie-t-il ce qu’est cette religion ?". Et chacun de repartir, enfourchant de vieux canassons pour la bataille… Bon il faut heureusement le reconnaitre, la grande majorité de ceux qui découvrent ce texte se réjouissent comme le dominicain Adrien Candiard. Il y a heureusement plus de chrétiens qui espèrent que de de chrétiens qui ont peur.
Il faut lire ce texte pour mieux en comprendre la portée : depuis François d’Assise, il n’y a jamais eu sur la péninsule arabique de rencontre pareille. A l’époque le Povorello rencontrait le sultan d’Egypte, aujourd’hui c’est le successeur de Pierre qui rencontre le recteur de l’université du Caire. En affirmant la prépondérance de la fraternité humaine, ils nous renvoient à cette réalité que nous sommes toujours prêts à revendiquer pour nous-mêmes et moins facilement pour autrui : en-deçà de nos religions, cultures, langues et histoires nationales, toutes remarquables fussent-elles, nous sommes frères en humanité.
Cette bonne nouvelle nous est connue à nous chrétiens, par la lecture des Écritures : de la question "où est ton frère ?" lancée par Dieu à Caïn, à la question posée à Jésus par le Docteur de la Loi "qui est mon prochain ?", le baptisé ne cesse d’y être renvoyé. Il n’est pas neutre que ce texte, signé en ce lieu, proclame l’égalité entre tous, le droit à croire librement et celui pour l’étranger d’être accueilli, condamnant aussi tout recours à la violence. Il y en aura qui ricaneront en prétendant que cela n’engage à rien, et qui, comme Staline s’interrogeront sur la puissance du Pape… Les ricaneurs déjà raillaient les paroles de Jean-Paul II, avant que le mur de Berlin ne s’écroule.
Devant 135 000 fidèles, tous migrants établis aux Émirats, le pape présida aussi l’Eucharistie. Pour la première fois sur cette terre, aux yeux de tous, l’Église se rassemblait pour prier publiquement. Posant ainsi un acte de foi dans la capacité des hommes à vivre ce qu’ils promettent, à incarner ce qu’ils déclarent. Nul doute que François, qui n’est pas un naïf, et qui mesure le poids des actes et des mots, poursuivra l’œuvre inaugurée en ces jours. Il pourra compter sur le soutien de la prière des martyrs d’Algérie, et de leurs compagnons musulmans, dont le sang mêlé était célébré le 8 décembre dernier à Oran. Ce jour-là, en Algérie pour la première fois depuis longtemps, tous se retrouvaient pour la célébration publique de l’Eucharistie, unissant leurs prières pour "la gloire de Dieu et le salut du monde".