L’entretien du cardinal André Vingt-Trois du 17 janvier 2014
Les projets législatifs sur la fin de vie et l’avortement. La 100e journée des Migrants.
RND : Bonjour Eminence,
Card. Vingt-Trois : Bonjour.
RND : On va commencer par la fin de vie, il y a un cas qui retient l’attention des médias c’est celui de Vincent Lambert, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit rendre sa décision, à l’heure où nous parlons aujourd’hui nous n’avons pas le contenu de cette décision, n’empêche que l’on sait que le gouvernement veut remettre en cause le consensus national sur la Loi Leonetti, alors vous vous avez une appréciation, qui s’est exprimée également à travers le communiqué de la Conférence des évêques de France, « pour un engagement de solidarité et de fraternité sur la fin de vie » ?
Card. Vingt-Trois : Oui, d’abord c’est toujours difficile de parler alors qu’il y a une exploitation médiatique d’une situation particulière. 90% des gens qui en parlent ne connaissent pas la situation, ni l’état réel de la personne intéressée, ni les liens familiaux, ni rien du tout… On prend un prétexte pour relancer une campagne. Cela n’est pas de l’information c’est de l’intoxication et il nous a semblé au Conseil Permanent que la question était trop grave pour ne pas intervenir, non pas sur ce cas précis auquel on ne connaît rien et qui est dans les mains des juges, mais sur la question qui a été évoquée d’ailleurs par le Président de la République, des hypothèses de modifications de la Loi Leonetti sur la fin de vie. Et nous avons voulu rappeler que le respect de l’interdit de tuer, « tu ne tueras pas » (Ex 20, 13) qui est la base de construction d’une société paisible et respectueuse de ses membres, était touché par des hypothèses d’euthanasie ou de suicide médicalement assisté.
RND : C’est ce que vous écrivez de manière catégorique : « Personne ne peut provoquer délibérément la mort, fût-ce à la demande d’une personne gravement malade, sans transgresser un interdit fondamental. « Tu ne tueras pas » demeure une exigence morale majeure de toute société, et, pour les croyants, un commandement de Dieu. » Cela veut dire qu’il n’y a pas de discussion sur ce terrain-là ?
Card. Vingt-Trois : Il n’y a aucune discussion là-dessus, on peut, hélas l’histoire humaine est assez riche pour que l’on ait des exemples multiples, on peut enfreindre le commandement, mais ce qui est dramatique dans le projet législatif dont on parle, s’il aboutissait, c’est que ce n’est pas simplement une infraction à un commandement respecté, c’est la légalisation de l’infraction, c’est-à-dire que la loi instaure qu’il est légitime de tuer, et cela c’est absolument insupportable, y compris dans la forme du suicide médicalement assisté, on est périodiquement alerté, à juste titre, sur les développements de pratiques suicidaires, que cela soit chez des adolescents, que cela soit chez des personnes âgées, que cela soit dans des milieux agriculteurs où il y a beaucoup de suicides, on dit : il faut faire quelque chose, on ne peut pas simultanément combattre le suicide sur un terrain de l’autre côté dire : il y a des situations où finalement le suicide est la seule sortie !
RND : Il y a une forme d’ultime liberté dans l’acte de se suicider ?
Card. Vingt-Trois : Non il y a une forme d’aliénation de la liberté en raison des pressions que la situation exerce sur nous. Il y a des situations de pression qui nous conduisent à imaginer qu’il n’y a pas d’autres solutions qu’une solution irrémédiable, mais c’est précisément la grandeur de l’homme d’être capable de résister à ces pressions.
RND : On ne veut pas provoquer la mort pour la fuir aussi ?
Card. Vingt-Trois : Peut-être, mais c’est une drôle de façon de la fuir que de la provoquer !
RND : Les pouvoirs publics peuvent-ils faire autre chose que de prendre acte de l’évolution des mœurs et que le droit doit s’aligner sur l’évolution des mœurs ?
Card. Vingt-Trois : D’abord il n’y a pas d’évolution des mœurs. Je ne connais pas beaucoup de monde qui souhaite mourir et donc la mission des pouvoirs publics ce n’est pas d’organiser la mort de la façon la moins traumatisante possible, c’est de mettre en œuvre des moyens d’accompagner les gens dans les situations difficiles. En particulier, déjà du temps du Président Chirac, ce qui n’est pas d’hier, la mise en œuvre des soins palliatifs avait été annoncé comme une priorité, et on en est toujours aux balbutiements, donc c’est là que se situe le véritable enjeu.
RND : Autre question, Mgr, qui est extrêmement sensible, celle de l’avortement qui revient à la faveur de deux actualités. D’abord l’Espagne qui va revenir au principe de 1985, revenant sur la Loi de M. Zapatero, et puis le projet de loi égalité homme/femme qui ne considère plus l’avortement comme le signe d’une détresse, ne le rattache plus à cette notion de détresse. Alors qu’elle est votre appréciation des choses, l’Église en France a à faire valoir un point de vue à l’heure où l’on manifeste dimanche prochain dans le cadre de la Marche pour la vie ?
Card. Vingt-Trois : L’Église fait valoir un point de vue de manière permanente. Pour rappeler simplement la période récente, à la fin de l’Assemblée plénière des évêques de France à Lourdes, le Président, dans son discours de clôture, a eu des paroles très fortes sur ce sujet, je n’ai pas entendu qu’elles aient été beaucoup reprises, y compris dans l’Église par des gens qui nous disent : vous ne faites rien. Encore dans son message de Noël, il est revenu sur la question d’une manière très claire et on nous dit : « mais où sont les évêques ? » Les évêques sont où ils doivent être, c’est-à-dire là où ils ont quelque chose à dire, ils le disent, c’est de savoir si les chrétiens entendent ce qu’ils disent et ont autre chose à faire que de les pourchasser pour leur demander de s’aligner sur leurs positions.
RND : Marcher c’est une bonne idée ?
Card. Vingt-Trois : Mais marcher c’est une manière d’exprimer quelque chose, on est dans l’ordre des moyens, on n’est pas dans l’ordre des principes qui doivent s’imposer à tout le monde. Il y a un certain nombre de gens qui estiment que c’est un signe important dans notre société de rassembler des gens pour faire une marche, et je pense que c’est un choix qui tout à fait respectable, mais il y a d’autres manières de lutter contre l’avortement et en particulier de développer l’éducation affective dans les circuits éducatifs, de mettre en place des structures d’accueil pour les femmes dans des situations de détresse, et surtout de ne pas céder à cette espèce de mythologie du « droit à l’avortement », quand Mme Simone VEIL a mis en œuvre la dépénalisation de l’avortement il y a 40 ans, il n’a jamais été question d’un droit à l’avortement, bien qu’à ce moment-là nous ayons déjà dit que la ligne, la logique incontournable de cette décision serait la banalisation de l’avortement. On nous a dit « vous rêvez, cela va faire disparaître l’avortement », on est toujours au même nombre d’avortements, bien qu’il y ait moins de naissances, et il n’a pas disparu. Donc la lutte contre l’avortement c’est précisément, non pas de donner le permis d’un droit fondamental, mais c’est de susciter des actions pour venir en aide à des personnes qui sont dans la détresse.
RND : Venir en aide, Mgr, il y a deux autres événements qu’il faudrait souligner, il nous reste peu de temps malheureusement, c’est la semaine pour l’Unité des chrétiens et la centième Journée mondiale des migrants, c’est également dimanche prochain.
Card. Vingt-Trois : Oui. Dimanche prochain c’est la centième Journée mondiale des migrants, le Pape a envoyé un message très fort que j’ai demandé, il y a quelques semaines, aux curés de diffuser largement. Les chrétiens n’auront qu’à le lire et à en tirer leur profit, je crois que ce qui est important dans la journée mondiale des migrants ce n’est pas simplement d’instrumentaliser cela dans un contexte politique c’est de comprendre que c’est un phénomène qui touche des masses énormes à travers l’humanité, puisque la plus grande migration n’est pas celle dont nous parlons ici chez nous, la plus grande migration par exemple c’est de la migration interne en Afrique, c’est-à-dire comment des gens sont déplacés au gré des guerres et des massacres et c’est au cœur de la question.
Et la Semaine pour l’Unité, qui est une vieille tradition, une semaine de prière pour l’unité, qui est un moment particulièrement important pour que les chrétiens, dans cette semaine, prenne un moment pour réfléchir, échanger et prier ensemble.
RND : Mgr Vingt-Trois merci beaucoup et à la semaine prochaine.
Card. Vingt-Trois : Merci, bonne journée.