La prière
Cedric Kahn
Cedric Kahn, 2018. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
Lignes blanches
Thomas, jeune Breton robuste mais sans repères, s’est laissé piéger par la drogue. Au début du film, à bout de forces, il arrive dans les Alpes pour tenter de se reconstruire au sein d’un groupe de ses semblables encadrés par une communauté catholique [1]. Boule d’énergie et de souffrance, enfermé dans son mal de vivre, sans mauvaise volonté mais dépourvu de conviction ou de croyance : la rencontre sera rude, sans concession.
Parmi les nombreux films à thématique religieuse sortis en ce début d’année [2], La prière est le seul à aborder frontalement le problème de la foi. Il ne s’agit ni d’une reconstitution historique ni d’une simple intrigue dans un environnement chrétien, mais d’une interrogation directe sur la façon dont le mystère peut rejoindre et transformer des vies. Les compagnons de Thomas ne sont pas tous des mystiques, beaucoup se savent encore fragiles. Pourtant, ils choisissent une vie dans un cadre catholique. Autosuggestion ? Thérapie ? Force du groupe ? Comment tenir sur la distance, réussir sans médicaments ?
D’emblée, le spectateur est embarqué. Rien n’est imposé. Peu de choses sont expliquées. Il faut entrer dans le rythme, le vivre avec le héros, voire le rejeter avec lui. Intégrer la patience du temps, la beauté de la nature, l’absurdité apparente des travaux et des mots, la construction d’une fraternité. Les silences sont parfois lourds, les manques réels, les dangers évidents. Peu à peu, nous entrons dans une sorte de respiration. Voir soutenir une telle lutte, où la force se puise dans une remise de sa faiblesse, pose la question de la grâce bien mieux que de longs discours.
La première heure approche le chef d’œuvre. Ces jeunes, retrouvant par le travail et la prière l’usage de leur corps et de leur esprit, se tiennent en équilibre instable entre passé et avenir, individus et groupe, aspiration au bien et pulsions de violence, maîtrise de soi et oubli de tout. Leurs fragilités les mèneront-elles au désespoir, à la défiance, à l’abandon, à la foi ? Les lignes de crête se multiplient. Quelle neige faut-il redouter ? Comment se trouver sans se fuir ? La bienveillance du regard, conjuguée à la sobriété des situations et à la force des interprètes, bouleverse.
Malheureusement, nous ne resterons pas dans les hauteurs [3]. Une religieuse fascisante, une scène de lit complaisante, une improbable promenade et un accompagnateur candide mènent le dénouement sur des chemins plus banals. La fugue des débuts se dilue en menuet, à l’image de prières dont le texte devient incertain [4].
Ces défauts de fin font paradoxalement ressortir la vigueur et l’intérêt du propos premier. Il est fascinant de voir tant de cinéastes contemporains revenir à des problématiques explicitement spirituelles et scruter les références chrétiennes quand bien même celles-ci, parfois, leur échappent. La prière en offre une nouvelle illustration, originale et forte sans être totalement aboutie.
P. Denis DUPONT-FAUVILLE
19 mars 2018
[1] Les affinités avec la communauté du Cenacolo sont patentes ; c’est pourquoi il convient de parler non d’une cure de désintoxication (il ne s’agit pas d’un centre thérapeutique qui accueillerait par exemple des personnes fragiles psychiquement) mais d’une reconstruction, au sens d’une école de vie librement assumée.
[2] Cf. notamment Jésus l’enquête, L’apparition ou le prochain Marie Madeleine.
[3] Au bout d’1h03, l’entrevue avec la Sœur introduit un ton nouveau, interrompant la progression vers les cimes.
[4] Il y a là une sorte d’énigme. Plusieurs prières sont entendues durant le film ; mais les psaumes, souvent cités, le sont dans la traduction de la Bible de Jérusalem ou de Segond, non dans la traduction liturgique que tous les pratiquants entendent à la messe ! De même la mère supérieure dit à l’écran deux Je vous salue Marie consécutifs mais pas avec la même formule (« entre » toutes les femmes devient « parmi » !) : témoignage de sa fausseté ou inattention du réalisateur ? Cette inadéquation entre ce qui est dit et la façon de le dire se retrouve dans l’affiche : l’image du héros en aube, parlante pour le grand public, ne donne guère une idée du film.