Le bel Antonio
Mauro Bolognini
Il bell’Antonio, film de Mauro Bolognini réalisé en 1960. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
Un amour impuissant
Tourné quelques semaines après La dolce vita de Fellini, Le bel Antonio ressort sur les écrans cette semaine. Moins connu que son prédécesseur, c’est également un chef d’œuvre. Marcello Mastroianni y prend le contrepied du rôle qui le rendit célèbre, pour fournir une admirable composition, toute en retenue et en intensité, autour d’un sujet délicat, intime, affrontant plusieurs tabous.
Antonio, jeune et séduisant Sicilien, revient dans sa Catane natale après trois années infructueuses passées à Rome. Sa réputation de séducteur l’a précédé et les femmes de la ville n’ont d’yeux que pour lui. Mais la vue d’une simple photo le rend amoureux de celle que ses parents lui destinent. Cet amour est si grand que, le mariage une fois conclu, Antonio s’en trouve inhibé et n’arrive pas à le consommer. Alors la mécanique sociale s’enclenche, pliant à ses règles celui qui n’a pas su affirmer sa domination. L’amour n’aura eu qu’un temps.
Nombreuses sont les thématiques qui s’entrecroisent : séduction et recherche de l’amour véritable, fonctionnement d’une société patriarcale et idéaux de la jeunesse, incertitude masculine et avidité féminine – ou équivalemment forfanterie des hommes et réalisme des femmes, force du passé et amour de la vie, dialectique sociale et exigences religieuses… Sur un scénario de Pasolini et à travers quelques personnages admirablement campés [1], le film parvient à en traiter de façon à la fois équilibrée et nuancée, l’admirable élégance de la mise en scène [2] répondant à la franchise étonnante des dialogues.
Parmi les scènes mémorables, l’ouverture montrant d’emblée l’impossible dialogue entre un homme impuissant et une femme voulant lui rester attachée ; le face à face inoubliable entre la mère d’Antonio et sa femme, celle-ci se tournant vers un parti plus riche et celle-là disant ce qu’est vivre l’amour jusque dans ses dimensions les plus physiques ; l’algarade entre le père humilié et l’ecclésiastique matois ; ou, à l’inverse, entre un prêtre lucide et la mère courageuse. Sans oublier le regard final de chacun des deux héros, ni l’alternance de séquences terriblement sombres (cf. la soirée mondaine) et étonnamment solaires (cf. les époux à la campagne), ni le dénouement qui ne permet de “rentrer dans les clous” qu’au prix d’une lancinante ambiguïté [3].
À l’issue d’une telle œuvre, les questions posées sont nombreuses : quelle frontière entre cupidité et désir de bonheur ? Quelle part de réalisme et de fantasmes dans le désir ? Comment allier offrande de soi et possession de l’autre dans l’amour ? Mais elles le sont si bien que le spectateur se découvre plus riche en humanité, davantage capable d’entrer dans une compassion exempte de sentimentalisme. Une histoire d’avant le Viagra, diront certains. Pourtant le visage du bel Antonio [4], rêvant à l’amour mais incertain de pouvoir le vivre, n’a pas fini de nous hanter.
P. Denis DUPONT-FAUVILLE
26 mars 2018
[1] Outre Mastroianni et Claudia Cardinale (dans un rôle assez court et plus antipathique qu’à l’ordinaire), il faut citer au moins le père et la mère du héros, respectivement Pierre Brasseur et Rina Morelli.
[2] Qu’il s’agisse des plans d’extérieur en ville, du travelling dans une orangeraie, des séquences d’intérieur ou des affrontements entre personnages, souvent en duo.
[3] En apparence, l’honneur d’Antonio est sauf et la morale sociale respectée, fût-ce au prix d’un (nouvel) accommodement. Mais, outre qu’on le félicite non d’avoir trouvé sa voie mais d’avoir accompli une performance, la réalité de cette dernière est sujette à caution (cf. l’attitude de son cousin au téléphone réclamant d’être le parrain du futur enfant, après qu’on l’a vu courtiser la soubrette et que le père d’Antonio s’est vanté d’avoir perpétué la tradition de fabriquer les enfants des autres).
[4] La dernière image le fait lentement disparaître sur le fond d’un mur en terre…