Homélie de Mgr Éric Aumonier, évêque émérite de Versailles, lors de la Neuvaine de sainte Geneviève 2022
Saint-Étienne du Mont – Lundi 3 janvier 2022
« Le cœur de Paris, ce qui le fait vivre, supporter et aimer, construire et transmettre la vie... Ce sont les personnes vraiment libres, ce sont les saints. »
Le cœur de Paris, ce qui le fait vivre, supporter et aimer, construire et transmettre la vie, où est-il ? Ce sont les personnes vraiment libres, ce sont les saints.
Quand, au Ve siècle, la société de Lutèce vacillait et que la majorité de ses membres était perdue, qu’elle aboyait avec les loups, à la remorque des prophètes de malheur et de l’opinion majoritaire, qu’elle se laissait prendre par le découragement, une femme a fait bouger les lignes. Elle ne vitupérait pas contre les ennemis de l’extérieur et les lâches de l’intérieur, elle ne faisait pas de discours sur la défense des pauvres, elle ne dressait pas les hommes et les femmes les uns contre les autres, elle rassemblait par la charité, la parole, la prière, le jeûne ; elle tirait les faibles du laisser-aller et entraînait les réticents.
Quand bien des hommes voulaient quitter la ville devant l’envahisseur, elle a refusé de fuir. Devant la veulerie des uns et la violence des autres, devant la jalousie de personnages plus capables de critiquer les autres que de bouger le petit doigt, elle n’a pas été tétanisée par la fausse prudence. Son audace et son énergie, sa capacité de résistance et celle des femmes réunies autour d’elle ont permis de sauver la ville du désastre.
Son éducation et ses talents furent mis au service de tous. Dans le contexte de grande disette que connaissait la Gaule, elle surmonta l’inertie et l’égoïsme. Elle a pris l’initiative et elle a elle a su fédérer les bonnes volontés en faisant le nécessaire pour servir concrètement la charité active, en distribuant et en partageant ses biens. Elle avait « du bien en ce monde et n’a pas fermé ses entrailles à son frère dans le besoin » (1Jn 3,17-18) Elle a pris ses responsabilités. Elle ne s’est pas demandé pas ce qu’elle risquait. Elle n’a pas cherché à se faire couvrir par des autorités humaines. Elle a organisé la logistique de cette distribution.
Elle faisait le bien sans être embarrassée par le souci de sa propre carrière et sans se laisser arrêter par les médisances ou les injures.
Ou puisait-elle cette force ? Dans l’amitié personnelle et la relation de foi avec le Christ Jésus, car elle était donnée à Dieu et consacrée à lui par l’Eglise dans la virginité dès son enfance. Née dans un milieu social privilégié, elle ne s’y est pas laissée enfermer et ne s’y est pas réfugiée pour fuir les difficultés de la vie et de son époque, alors qu’elle aurait pu avoir une toute autre existence. Sa vie illustre concrètement ce que peut faire l’Esprit-Saint, l’Esprit de force et de sagesse chez quelqu’un qu’il rend vraiment libre de la liberté des enfants de Dieu. A la fois Marthe et Marie, elle écoutait son Seigneur, et pour que Paris ne perde ni ses forces ni son âme elle faisait mille choses mais elle ne s’agitait pas et ne se dispersait pas. L’espérance la faisait vivre.
À chaque époque, des femmes de cette trempe sont suscitées par le Seigneur. Les unes sont connues et célèbres de leur vivant, les autres sont cachées.
Geneviève ne vivait pas pour elle-même mais pour les autres. Il lui était évident dans la foi que la dignité de ces hommes et de ces femmes leur venait de ce qu’ils étaient créés, aimés de Dieu et sauvés par Lui. Ils n’étaient pas d’abord à ses yeux des contribuables ou des consommateurs, ni même seulement des concitoyens ; ils étaient des prochains, des frères et sœurs aimés sans condition et sans distinction.
Si notre ville bouge aujourd’hui, si elle est secouée et transformée, puisse son cœur ne pas changer ! Elle est traversée par les soubresauts des mouvements de populations, les violences sociales, les effets de la pandémie, les nouvelles idéologies importées qui remettent en cause tous les repères de la société. Mais puisse l’annonce de la foi et le témoignage de la charité, qui ne font pas la « une » des media, émaner de son cœur qui bat. Nous partageons avec la lumière de l’espérance active les épreuves de l’humanité. Elles font partie de la croissance et de l’enfantement de la société humaine, qui doit sans cesse apprendre à nouveau à laisser Dieu l’humaniser.
Seigneur, par l’intercession de Marie Mère de Dieu, et de sainte Geneviève, réveille et stimule l’énergie de celles qui, mariées ou non, ayant des enfants ou non, se portent spontanément et naturellement au service de la vie humaine de la naissance à la mort et de la croissance et de la dignité de cette même vie. Amen.
Mgr Éric Aumonier,
évêque émérite de Versailles
– Voir le compte-rendu de la Neuvaine 2022 à Saint-Étienne du Mont.