Saint Augustin
Christian Duguay
Christian Duguay, 2009. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
Un monde pas si lointain
Sorti en 2010 en Italie et aux États-Unis, ce Saint Augustin, dû au réalisateur canadien Christian Duguay [1], peut se voir depuis fin février dans sa version française, tant en DVD que sur des plateformes de streaming [2].
Disons-le d’emblée, nous sommes dans un univers et une esthétique beaucoup plus télévisuels que cinématographiques. Le propos de cette “mini-série” de plus de trois heures n’est pas de ciseler une œuvre, mais de mettre à la portée du grand public une histoire méconnue, dans un style spectaculaire et souvent sentimental. Pour autant la production a disposé de moyens considérables, notamment par la reconstitution de cités antiques permise par les studios tunisiens. Ainsi le monde de l’empire romain finissant surgit-il avec un réalisme étonnant, même si certains anachronismes peuvent surprendre [3] ou si le traitement de la lumière révèle immédiatement des équipes italiennes, tandis que plusieurs dialogues, cadrages ou postures devant la caméra relèvent plutôt de l’influence des séries type HBO.
L’action retrace deux moments principaux de la vie du saint docteur. D’une part sa jeunesse et l’itinéraire qui le mena jusqu’à la conversion ; d’autre part, à l’autre bout de l’arc, sa fin dans sa cité d’Hippone, assiégée par les Vandales de Genséric. Nous pourrions poser qu’il y a comme une dialectique entre le récit des Confessions et la méditation de la Cité de Dieu : au soir de sa vie, le vieil évêque se remémore ses débuts éclatants dans un empire qui permettait d’élargir ses ambitions aux dimensions de l’univers. Quel aura été le sens de sa conversion et de son renoncement au monde, que sert de s’être donné à Dieu lorsqu’une civilisation tout entière s’effondre ?
Au-delà de la reconstitution majestueuse et d’une trame narrative plus subtile qu’il n’y paraît, l’incontestable réussite du film réside dans l’honnêteté avec laquelle il rend compte de la façon dont Augustin a lutté avec la vérité jusqu’à se laisser conquérir par elle. Le montage en une récapitulation finale des moments déterminants de son évolution, sorte d’équivalent du fameux hymne d’action de grâces des Confessions [4], donne ainsi de percevoir tant la logique profonde du parcours que l’inventivité de la Providence.
Il ne s’agit bien sûr que d’une introduction à saint Augustin. Dans un second temps, les “connaisseurs” pourront se réjouir que soit rappelé le rôle si positif de l’Église à cette époque charnière pour l’Occident, apprécier la mise en valeur de la figure de saint Ambroise, s’étonner du départ grand-guignolesque de la cour de Milan, ou regretter le schématisme de l’évocation du baptême et des sacrements [5]. De même, la sincérité de plusieurs interprètes ne pallie pas toujours l’approximation du doublage ou la complaisance de certaines images. Mais ce ne sont là que des détails. L’histoire est si riche que celui qui la découvre ne peut que souhaiter en savoir plus.
Gageons donc que cette production permettra à beaucoup d’échapper à l’ambiance morose d’aujourd’hui. Ce récit de temps terriblement troublés peut en effet se regarder tant à la lumière du Carême (comme récit de conversion) qu’à celle de Pâques (comme exemple du travail de la grâce en toutes circonstances). Quitte, ensuite, à découvrir les textes de ce génie universel, ou encore le film extraordinaire qu’en tira, en son temps, Roberto Rossellini [6] !
Denis Dupont-Fauville
7 mars 2021
[1] Réalisateur notamment de Pie XII, sous le ciel de Rome (2010) et Jappeloup (2013), ainsi que de la saison 3 de la série à succès Médicis (fin 2019).
[2] Notamment Le film chrétien, plateforme du distributeur SAJE.
[3] Que ce soit l’équipement des soldats romains, typique du Ier siècle et non du IVe, ou la séquence où le jeune Augustin évolue au milieu de figuiers de Barbarie, en fait arrivés du Mexique un millénaire plus tard… Ce genre de méprises suscita il y a 10 ans des réactions immédiates lors de la diffusion en Italie, pays où le grand public a encore une culture classique. Il y aurait aussi à signaler quelques distorsions ou inventions dans le déroulement de la biographie, mais qui ne relèvent que des contraintes inhérentes à toute adaptation.
[4] Cf. Confessions X, 27 : « Je t’ai aimée bien tard, Beauté si ancienne et si nouvelle, je t’ai aimée bien tard ! Mais voilà : tu étais au-dedans de moi quand j’étais au dehors, et c’est dehors que je te cherchais… »
[5] Une remarque analogue vaudrait pour l’extase d’Ostie, réduite à sa plus simple expression et amputée des détails visuels fournis par Augustin (cf. Confessions IX, 23-25).
[6] Roberto Rossellini, Augustin d’Hippone (1972) – disponible en DVD chez Carlotta. Ce film, lui aussi tourné pour la télévision mais avec des moyens bien inférieurs à celui de Duguay, a une visée beaucoup plus ample et un langage singulier, d’où un côté déroutant mais aussi une densité très supérieure.