Sous les étoiles de Paris
Claus Drexel
Claus Drexel, 2020. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
Aux marches du palais ?
Un merveilleux conte de Noël, que les hasards des confinements – déconfinements – reconfinements auront obligé à faire sa vraie carrière en été ; signe paradoxal d’une époque où les normes font de moins en moins droit aux exigences de l’imaginaire.
Après son extraordinaire documentaire Au bord du monde (2013), consacré aux sans-abris parisiens, Claus Drexel fait le pari de la fiction pour traiter du même sujet. Ou plutôt, partant d’un univers qu’il a déjà exploré avec tant de maîtrise, il met en scène un spectacle intégrant sous une forme apparemment naïve un vertigineux enchaînement de problématiques. Là où l’enquête factuelle nous introduisait à un monde fantasmatique, la puissance du songe nous fait entrer dans des dimensions insoupçonnées du réel.
Christine, clocharde terrée sous les ponts de Paris, tombe sur Suli, gamin burkinabé perdu par une mère sur le point d’être extradée. Cette rencontre, en détruisant ce qui lui reste d’univers, va pourtant rendre un sens à sa vie. Bluette pleine de bons sentiments, cherchant à nous émouvoir sur le sort des pauvres migrants ? Qui regarde verra bien autre chose.
D’abord parce qu’il ne s’agit pas d’illustrer des thèses, mais de nous faire rencontrer des personnages. Catherine Frot y trouve un de ses plus grands rôles, entre clown triste et paysanne rouée, épave qui se met à rayonner d’une humanité insoupçonnée. Autour d’elle gravitent nombre d’individus, tantôt automates tantôt personnes humaines, chacun mettant en jeu l’avenir de l’enfant.
Ici intervient un deuxième élément. Les stéréotypes nous font toujours faire fausse route, les attitudes ne sont jamais celles que nous pourrions prévoir. Les jeunes sont insensibles, les hommes discrets, les femmes violentes, les fonctionnaires sans conscience, les bons Samaritains impitoyables, les forts doux. Les plus solidaires sont les plus isolés, la bonté se cache, le politiquement correct institutionnel repassera. De l’enfer du sous-sol des Halles au centre de rétention de Vincennes, des métros aux quais de Seine, des camps de tentes aux aéroports, le jeu humain se poursuit, égoïste et vulnérable.
Alors notre environnement apparaît pour ce qu’il est : un simple décor. Le Paris historique, sublimé par la photographie, porte avec lui les vestiges d’un univers révolu ; les dépotoirs contemporains, où l’humanité se réfugie, n’ont pas d’autre intérêt que ceux qui les habitent.
Sans juger quiconque, le film ne prétend pas pour autant résoudre les drames qu’il contemple. Les enfants qui veulent grandir quitteront nos cités aux allures de parcs d’attraction ; l’altruisme, tant chez les femmes que chez les hommes, ne se transmet que par miracle ; les plus riches s’évadent dans un tourisme indifférent. Seule la poésie de la clocharde, irréductible à tout discours, nous donne de sonder la dureté du monde.
Ce conte de Noël est-il désespéré ? Au contraire : avec la lucidité permise par le détour de l’art, il ne se résigne pas aux faux espoirs. Le dernier plan, indescriptible, nous fait accéder à l’espérance, au-delà des solutions faciles. Résurrection vue de dos, Ascension inversée, descente de la Montagne ? À bien y réfléchir, la première scène montrait une sortie du tombeau ; jusqu’où peut nous mener la fin de cette histoire ?
Un DVD à acquérir et à diffuser, à voir en famille et entre amis, à commenter surtout, pour ne pas se résoudre à nos enfermements.
Denis DUPONT-FAUVILLE
25 juin 2021