Star Wars VII

Jeffrey Jacob Abrams

J.J. Abrams, 2015. Critique du père Denis Dupont-Fauville.

L’Empire du Bien sans partage

Le septième épisode de La guerre des étoiles (désormais intitulée Star Wars même en France) a été précédé d’un battage publicitaire sans équivalent, sortant sur plus de 1000 copies sur le seul territoire national. L’opus précédent datant d’il y a déjà une décennie, l’impatience était grande et les souhaits multiples. Las ! La montagne a accouché d’une souris.

Montagne, certes : des effets spéciaux impeccables, encore accentués, pour la première fois, par la 3D ; des vaisseaux, des déserts, des monstres et du feu, des lasers et des combats, des bouges et des animations comme s’il en pleuvait. Pourtant, la mise en scène la plus soignée pour un jeu vidéo ne suffit pas forcément à produire une seule image de cinéma. Le réveil de la force en fournit une illustration éclatante.

Au milieu du film, dans le quartier général des « gentils », un hologramme permet de simuler la bataille à venir. Le commentaire en est précieux. « Il y a trente ans, voici ce que vous deviez attaquer » : une énorme sphère métallique surgit, étoile artificielle de la mort dont la destruction constituait l’apogée de la première trilogie tournée ; « aujourd’hui, voici ce que vous devrez affronter » : la même sphère surgit, dix fois plus grande. Tout est ici résumé : nous allons assister au même spectacle que celui du premier épisode sorti il y a près de quarante ans, avec plus de moyens techniques mais sans une once d’inventivité. Même raid initial au désert isolant la vedette orpheline, même rencontre fortuite avec un compagnon d’aventure se voulant neutre au départ, même solidarité de plus en plus étroite avec le camp du bien et ses amusants robots, même binôme (en fait trinôme) à la tête de l’empire du mal, mêmes tripots un peu louches pour nouer des contacts interlopes, mêmes monstres pour s’en prendre au vaisseau lorsque l’action va rebondir, même assaut final se concluant par la même explosion de la méchante planète artificielle. L’absence totale d’imagination quant à la trame de l’histoire est accablante.

Tout n’est cependant pas identique : malgré la croissance exponentielle du budget, il y a eu de la perte en ligne. Perte du sens de l’épopée d’abord : les figures éternelles (même recyclées) du héros et de son compagnon embarqués pour une quête initiatique se sont muées en produits politiquement corrects (une héroïne à la fois sage et court vêtue associée à un Noir à la fois musculeux et gentil), au destin aussi prévisible et consensuel qu’aseptisé. Perte de l’apprentissage de la sagesse ensuite : là où les premiers devaient résister à la fascination du mal pour découvrir la force du bien, les seconds font toujours le bien… sauf quand c’est mal [1]. Perte du sens de la transgression et des tabous enfin : alors que dans la première trilogie la quête du Père se doublait du drame sacrilège du sacrifice du fils pour déboucher sur le don de soi, c’est désormais l’affolement devant les incartades du fils qui prélude au meurtre du père et à l’enfermement dans des phantasmes adolescents. Nous ne sommes plus au niveau du mythe fondateur, mais à celui des frustrations ordinaires.

Il ne s’agit pas seulement, pour autant, d’une faillite du scénario, inexistant à force de se vouloir trop habile. Les images elles-mêmes témoignent d’une certaine facilité bienveillante, saturée de stéréotypes qui sont autant de poncifs pour venir à la rescousse de spectateurs qui auraient réussi à se perdre. L’héroïne sort directement de Hunger Games, l’apprenti méchant de Harry Potter, le gentil Noir semble une réplique de Sydney Poitier et la dernière scène une parodie d’un épisode de Game of Thrones. Le ridicule en surgit parfois, comme lorsque, affrontant le malfaisant petit-fils de Dark Vador, un héros lui lance : « enlève donc ce masque, à toi il ne sert à rien »… et que son adversaire s’exécute, son masque n’étant qu’une inutile réplique de celui de son grand-père ! Alors que les premiers films, y compris avec leurs maladresses techniques, donnaient l’impression fascinante de constituer des archives du futur, nous nous retrouvons ici dans un spot publicitaire pour une Amérique de parcs d’attraction.

Certains pourront objecter qu’une place a été ménagée à l’humour, avec notamment la réapparition des anciens héros, aujourd’hui plus âgés. Certes, leur joie de reparaître est presque contagieuse et quelques répliques font mouche. Mais les vedettes en question sortent trop visiblement de leurs sofas de Los Angeles, les macarons de la Princesse Leia n’étant plus qu’un signal utilisé en forme de clignotant pour nous alerter lors des adieux, qui se révéleront évidemment les derniers, avec son partenaire. Pas étonnant qu’Harrison Ford, enjoué à l’idée de venir faire quelques clins d’œil dans cet épisode, n’hésite guère à être supprimé en fin de course. Les meilleurs moments sont finalement ceux où la série serait presque sur le point de se moquer d’elle-même.

Même la seconde trilogie tournée, moins réussie que la première, tentait quelque chose, ne serait-ce que par une critique vigoureuse du fonctionnement politique contemporain. Ici, aucune surprise possible. L’Empire du Bien, comme disait Philippe Muray, a vaincu. Le parricide montré renvoie à un autre, bien plus réel, celui de George Lucas, l’inventeur de la série, interdit sur les plateaux de tournage de Disney. Rien ne reste de lui, en effet, au milieu de ces combats de Bisounours visibles même par les tout-petits. Et les critiques seront réduits à néant, comme dans tout totalitarisme qui se respecte plutôt que de se battre pour les autres.

Denis DUPONT-FAUVILLE
1er janvier 2016

[1Inversion significative : les bons devaient de plus en plus lutter contre le mal à mesure qu’ils avançaient dans le bien lors des premiers épisodes ; ici, le méchant est d’emblée tenté… par le bien ! Comme si le mal ne pouvait attirer, comme si la tentation n’était que l’autre nom d’un point d’étape.

Cinéma