Vivre la charité en paroisse

Paris Notre-Dame du 31 juillet 2025

« On n’a pas besoin de chercher très loin pour comprendre que nous ne pouvons pas mettre en œuvre l’Évangile sans nous laisser entraîner dans la dimension universelle de l’amour de Dieu et sans nous laisser convertir, non pas par notre vision du monde, mais par la vision du monde que les pauvres nous apportent en mettant à jour leurs besoins » (25 mai 2016, messe d’action de grâce pour le 70e anniversaire du Secours catholique).

Tout au long de son épiscopat, Mgr André Vingt-Trois n’a cessé d’alerter sur la détérioration du lien social, qui est toujours, pour lui, une atteinte à la dignité humaine. En cela, il rapproche le champ social de celui de l’éthique, consacrant même la troisième année de « Paroisse en mission », en 2011-2012, au thème Éthique et solidarité. Dans Notre mission à Paris, il évoque déjà ces deux champs comme terrains prioritaires de la mission ; dans cette même lettre pastorale, il invite les catholiques parisiens à vivre la charité en communauté par la création, dans chaque paroisse, d’un pôle consacré aux actions de solidarité, soulignant ainsi un axe fort de sa vision, celui de s’ancrer dans le maillage paroissial. Entretien avec Mgr Olivier Ribadeau Dumas, recteur-archiprêtre de la cathédrale Notre-Dame de Paris, qui fut vicaire épiscopal pour la solidarité de 2005 à 2011.

31 mai 2016 à Notre-Dame de Paris. Veillée de prière pour la Vie, présidée par Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris, avec les évêques d’Île-de-France.
© Marie-Christine Bertin

Paris Notre-Dame – En tant que vicaire épiscopal pour la solidarité, quels souvenirs gardez-vous de Mgr André Vingt-Trois ?

Mgr Olivier Ribadeau Dumas, recteur-archiprêtre de la cathédrale Notre-Dame de Paris, fut vicaire épiscopal pour la solidarité de 2005 à 2011.
© Pierre Vincent / SNDL

Mgr Olivier Ribadeau Dumas – Je reste frappé de l’attachement du cardinal André Vingt-Trois à la question de la solidarité. Pour lui, Paris se devait d’avoir une action qui ne soit pas uniquement liée aux grands organismes, mais qui se déploie aussi dans la vie paroissiale. Et cela a été, je crois, l’un de ses grands soucis de rappeler aux paroisses qu’elles avaient à vivre la solidarité et la charité au quotidien, et ne pas déléguer ça à des « professionnels de la charité ». Je prends un exemple : peu après son arrivée à Paris comme archevêque, des centaines de tentes ont été installées le long du canal Saint-Martin pour abriter les sans-abri et sensibiliser l’opinion à leurs conditions de vie. Au cours d’un conseil épiscopal, il me demande de lui proposer, dans les quinze jours, quelque chose pour eux. C’est ainsi qu’est né, en 2008, Hiver solidaire, toujours dans cette idée : permettre aux paroisses d’accueillir dans leurs locaux des personnes vivant dans la rue, en sachant que cela ne réglerait pas le problème des sans-abri mais marquerait l’importance, pour l’Église, de prendre sa part à cette question. Et Hiver solidaire n’a cessé, sous l’impulsion du cardinal Vingt-Trois, de prendre de l’importance, de s’étoffer et de croître.

P. N.-D. – Quelles autres initiatives ou structures marquantes ont été mises en place sous son épiscopat ?

O. R. D. – Au niveau du diocèse, les structures ont été modifiées, afin d’être plus efficaces et opérationnelles, toujours dans cette idée qu’il ne s’agissait pas seulement d’échanger entre les différents acteurs mais de passer à l’action : c’est ainsi que le Conseil diocésain de la solidarité a été créé. Il m’a aussi beaucoup poussé – lorsque j’étais vicaire épiscopal – à faire en sorte de permettre aux paroisses d’échanger sur ces questions de solidarité. Et c’est ainsi que sont nés les forums de la solidarité, qui regroupaient, une fois par an, les grandes initiatives pastorales ; cela permettait aux paroisses, par le biais de leur délégation, de pouvoir comparer leurs différentes actions solidaires et, d’une certaine façon, de vivre une saine émulation. Le cardinal était, par ailleurs, président de la Fondation Notre Dame. Très attentif à la question du logement, notamment pour les personnes précaires, il m’a beaucoup appuyé dans la création du Fonds insertion logement, soutenue par la fondation ; l’objectif était de recueillir des fonds pour acheter des appartements destinés à des personnes de la rue, non seulement pour leur offrir un logement, mais aussi pour les aider à y vivre et, ainsi, se réinsérer dans la société. Comme président de la Fondation Notre Dame, il n’a cessé de pousser à soutenir financièrement les projets, afin qu’ils aient une vraie réalité. C’était un homme engagé sur ce terrain-là, avec son caractère, cette distance qu’il avait toujours… Mais lorsqu’on organisait, chaque année, ces grands forums de la solidarité, il venait, il prenait la parole, il était présent, il soutenait les gens et les acteurs de terrain ; de la même façon, il m’a beaucoup soutenu. Je reste d’ailleurs marqué par la confiance qui était la sienne, tout au long de ces six années !

P. N.-D. – Pour quelle raison ce maillon paroissial était si important à ses yeux ?

O. R. D. – Vivre la solidarité en communauté paroissiale, c’est se rappeler que la charité est l’affaire de tous et pas seulement de ceux qui s’investissent dans le secteur caritatif. Il ne s’agit pas de minimiser le rôle essentiel des associations. Mgr André Vingt-Trois était très attentif à leurs actions ; il m’a d’ailleurs demandé d’aller au conseil d’administration de plusieurs associations catholiques, comme l’Association pour l’amitié, qui prenait son envol à cette époque-là, ou Aux Captifs, la libération. Il voyait bien le rôle politique – au sens noble du terme – que jouaient ces associations catholiques, mais il plaidait aussi pour une action paroissiale. Pour lui, le maillage territorial était important, et la paroisse était précisément le lieu où la solidarité devait et pouvait exprimer sa proximité.

P. N.-D. – Est-ce que vous vous souvenez de prises de parole fortes ?

O. R. D. – J’ai souvenir de messes présidées par le cardinal, notamment à l’occasion des journées de la solidarité, durant lesquelles il avait une parole quasi-prophétique, où il rappelait combien le rôle de l’Église était précisément d’être auprès des plus pauvres. S’il doit rester quelque chose, c’est bien de pouvoir être témoin de la charité du Christ. C’était un homme pétri de l’Évangile, avec une analyse très fine des situations. Il était très clairvoyant sur le fait que l’Église n’avait pas à se substituer à l’État ; mais que l’Église avait sa part à prendre, et cette part se déployait dans la relation interpersonnelle, le soutien au plus près du terrain, l’investissement, etc. Il portait aussi cette intuition profonde que la charité, par elle-même, est une annonce de l’Évangile. Cela s’est vu avec Hiver solidaire, qui a rassemblé tant de gens qui n’étaient pas pratiquants, mais qui avaient le désir de venir en aide et d’accompagner les plus faibles. La charité, par elle-même, est missionnaire.

Propos recueillis par Charlotte Reynaud

Article de Paris Notre-Dame – 31 juillet 2025

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