L’Avocat de la terreur
Barbet Schroeder
Le nouveau film documentaire de Barbet Schroeder est consacré à la personne de Maître Jacques Vergès, connu pour avoir été l’avocat de terroristes comme Magdalena Kopp, Anis Naccache ou Carlos, et de « monstres historiques » tels que Klaus Barbie. Critique de Louis Corpechot.
Le dispositif cinématographique choisi par le réalisateur est assez classique : les interviews de l’avocat (dans le tribunal d’Alger, chez lui...) et des différentes personnes qui parlent de lui (amis, confrères, journalistes et historiens) sont illustrées de documents d’archives (actualités, photos, documents de services secrets...). Le montage obtenu fonctionne à la manière d’un dialogue, comme si les différents intervenants se répondaient, alors même que leurs conversations n’ont pas été enregistrées en même temps.
Ce qui nous intéresse ici est de déterminer le propos du réalisateur. En règle générale, en ce qui concerne l’art, il est vain de rechercher les intentions de l’auteur, et il ne faut que chercher à comprendre l’œuvre elle-même. Mais Barbet Schroeder a voulu placer, au début de son film, un avertissement pour prévenir le spectateur qu’il en assume pleinement le sens, alors même qu’il sait que celui-ci peut être contredit.
Cet avertissement peut se comprendre : en retraçant la vie de Maître Vergès, c’est l’histoire du terrorisme qui est reconstituée. Or l’acte même d’écrire l’Histoire suppose d’adopter un point de vue subjectif. Donc on pourrait croire que l’avertissement soit une invitation au dialogue.
Le problème est que ce dialogue n’existe pas à l’intérieur du film lui-même : les évènements ne sont jamais décrits par le parti opposé, dont on n’entend jamais les arguments. Pour le récit de l’indépendance de l’Algérie, la parole n’est pas donnée à ceux qui y étaient opposés, et pour celui de la guerre en Palestine, c’est Israël qui n’est pas entendu. Et ainsi de suite.
Pourquoi cette absence de dialogue est-elle si grave ? Parce qu’en filmant Maître Vergès qui affirme que si un de ses clients avait été condamné à mort, il aurait abattu le juge, et que lors du procès de Klaus Barbie, il était euphorisé par l’ivresse de pouvoir faire « dérailler la machine » à lui tout seul, Barbet Schroeder commet un acte similaire à ceux de son sujet : il pose une bombe.
C’est en effet poser une bombe que de faire sienne une parole à sens unique, même si celle-ci se veut au service de la justice. En voulant révéler les effrayantes relations entre le terrorisme moderne et le nazisme du passé, L’Avocat de la terreur, à cause de l’accumulation de ses sources et du sens unique de ses assertions, ne parvient finalement qu’à plonger le spectateur dans la confusion.
C’est pourtant ce même film qu’il est important d’avoir vu, pour la qualité de son travail, mais surtout afin que soit apportées les réponses qu’il ne donne pas.
Louis Corpechot