Inland Empire
David Lynch
Pourquoi parler d’un film de près de trois heures qui par sa forme (cris, ombres, éclats de lumières) et par son fond (peur, chute, violence) a tout du film d’horreur ? Et qui par sa narration destructurée ressemble à une œuvre abstraite ? Critique de Louis Corpechot.
Inland Empire, le nouveau film de David Lynch, est avant tout une œuvre d’art. Sans encourager nos lecteurs à aller le voir, nous voulons leur montrer en quoi il est important.
Le cinéma est lié à l’histoire de sa technique. De même que l’acrylique a facilité la peinture en extérieur grâce à la rapidité de son séchage, la légèreté des caméras numériques ouvre aux réalisateurs de nouvelles perspectives. La mise en place d’une scène est plus facile. Le travail du montage, informatisé, est modifié. L’image finale sur une pellicule, obtenue par la technique du kinescopage, est un entre-deux technologique, ni tout à fait digital, ni tout à fait analogique.
C’est le cinéma tout entier qui est modifié sous nos yeux. De plus, ces techniques sont accessibles au plus grand nombre, aux jeunes particulièrement, comme l’annonçait François Truffaut à la fin de La Nuit américaine.
INLAND EMPIRE s’inscrit dans l’histoire du cinéma par son audace à utiliser les innovations techniques. Mais il ne peut le faire que parce qu’il est déjà du cinéma. Nous voulons dire que David Lynch sait faire du cinéma. Il sait que le cinéma est important, qu’il est concerné par le rapport de l’être humain à sa propre vie. Son cinéma n’est pas au service d’une idée, il est une idée en image. Nous citons ses propos : « Il suffit de tomber amoureux d’une idée et de ce que le cinéma peut faire de cette idée. Alors ça roule. Si vous n’êtes pas amoureux, vous pouvez laisser tomber. ».
INLAND EMPIRE est un film en spirale, qui plonge dans la peur d’une jeune femme aux prises avec la culpabilité liée à l’adultère. Si son auteur est important, c’est parce qu’il connaît, maîtrise la grammaire du cinéma. Or deux hommes, même différents, ne peuvent discuter que s’ils emploient la même grammaire. David Lynch, en créant un cinéma qui lui est propre, permet un dialogue avec les autres réalisateurs, les autres œuvres, et le spectateur.
Mais pour nos lecteurs qui brûlent de se faire spectateurs, la Maison de la culture du Japon à Paris propose l’intégrale des films de Yasujiro Ozu du 10 février au 24 mars 2007. Soit trente-six merveilleuses manières de découvrir le Japon de l’après-guerre à travers la lumineuse mise en scène du maître : Ozu, qui, après avoir découvert les horreurs de la guerre, s’engagea à ne faire que des films où soient visibles la grandeur et la beauté de l’humanité.
Louis Corpechot