Le Testament de Tibhirine
Emmanuel Audrain
Mai 2006, dixième anniversaire de la mort violente des trappistes du monastère de l’Atlas, à Tibhirine, en Algérie. Ils étaient menacés de mort depuis 3 ans par les terroristes islamiques, comme tous les ressortissants étrangers. Critique de Bertilie Walckenaer.
Les moines avaient choisi de rester à leur place, aux côtés de leurs frères musulmans du village, avec qui ils cultivaient la terre, priaient, dont ils partageaient les peines et les joies. Les dangers aussi. Pour eux, c’était choisir la vie et surtout pas, comme le voudrait une vision fantasmatique, aller délibérément au martyre.
Emmanuel Audrain raconte avoir été « bousculé » par la lecture du testament de frère Christian, prieur de la communauté, écrit en 1993 et confié à sa famille. Pour tenter d’atteindre à cet indicible de la foi que paraît être, humainement, l’exercice de la charité fraternelle, le réalisateur a choisi de ne pas insister sur l’enquête policière, d’éviter absolument l’aspect sensationnel d’une telle histoire et de donner la parole à d’humbles amis de la communauté. Le documentaire est composé d’interviews et de larges plans paisibles du monastère vide aujourd’hui, mais qui reste entretenu par des mains invisibles. Quelques photos des moines et de leurs voisins musulmans donnent une idée de la paix et de la beauté qui règnent encore en ces lieux. A la surenchère d’images violentes qui envahit nos vies par les écrans de télévision et de cinéma, ce film oppose un regard spirituel de toute beauté sur un témoignage bouleversant de foi.
« J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde, et même celui-là qui me frapperait aveuglément. J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m’aurait atteint. Je ne saurais souhaiter une telle mort, il me parait important de le professer.
Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre. C’est trop cher payé ce que l’on appellera, peut-être, « la grâce du martyre » que de le de voir à un algérien quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’islam. Je sais le mépris dont on a pu entourer les algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’islam qu’encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes.
L’Algérie et l’islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme. »
Extrait du testament spirituel du père Christian de Chergé, prieur du monastère de Thibirine
Bertilie Walckenaer