Cœurs

Alain Resnais

Qui a dit qu’il était facile d’aimer ? L’amour, entendu au sens de relation de personne à personne, est extraordinairement difficile aux êtres humains, particulièrement aux personnages de Cœurs, le dernier film d’Alain Resnais. Critique de Louis Corpechot.

Dans la pièce Private fears in public places d’Alan Ayckbourn, qu’il retrouve pour la seconde fois après Smoking, no smoking, il a trouvé un « mystère » dans la vision de « sept personnages pris dans une toile d’araignée. […] L’araignée n’est pas là, elle est partie, mais dès qu’un insecte bouge, essaye de se dégager, la toile vibre, et un autre insecte qui n’a rien à voir avec le premier en est affecté ».

Cœurs décrit trois jours de la vie de sept personnages dont les parcours vont se croiser. Thierry et Charlotte travaillent dans l’immobilier. Ils cherchent un appartement pour Nicole et Dan. Gaëlle, la sœur cadette de Thierry, cherche le grand amour. Lionel est barman, il cherche une assistante à domicile pour son père Arthur, un vieil homme malade et colérique.

Dès l’ouverture, au même rythme que la neige sur Paris, la caméra tombe sur la fenêtre d’un immeuble du 13ème arrondissement. Le premier raccord unit ce travelling à un gros plan de la bouche de Nicole qui prononce le mot « petit ». Cette alliance entre le titre du film et son ouverture nous rappelle la phrase du Christ : « ce qui sort de la bouche, cela vient du cœur ».

Nicole exprime son sentiment sur l’appartement qu’elle est en train de visiter, mais c’est l’état de son propre cœur qu’elle décrit : il est trop petit pour contenir son désir. C’est par la parole que les personnages ont à révéler leur désir de secouer leur solitude, sortir d’eux-même et lutter contre ce qui les enferme.

La construction du film est si rigoureuse que le spectateur ressent le poids de la fatalité devant ces personnages qui veulent être les acteurs des évènements qu’ils subissent. Pourtant l’image de la neige qui tombe sur Paris entre les plans, en incrustation, et finalement, par la magie du cinéma, jusque dans les maisons, indique qu’il existe un point de vue différent. Si l’on considère combien les personnages ont du mal à communiquer, on s’émerveille devant le courage, cette force du cœur, qui les garde en vie. « J’ai été frappé dans Private fears par cette volonté perpétuelle des personnages de sortir de leurs solitudes, avec tous les obstacles que cela suppose. »

Montrant à quel point il ne porte pas de jugement sur ses personnages, Alain Resnais, après avoir dressé une liste de 104 propositions contenant toutes le mot « cœur », a choisi le titre de son film : « Ce sera au spectateur d’ajouter l’adjectif que lui dictera son état d’âme. J’aime que le spectateur ait sa liberté. »

Louis Corpechot

Cinéma