Le Rêve de Cassandre

Woody Allen

Le nouveau film de Woody Allen est une tragédie. Il porte le nom du voilier que deux frères, Ian et Terry, vont s’offrir, alors même qu’ils n’en ont pas les moyens. Le Rêve de Cassandre est donc le récit de la poursuite par deux frères du souvenir d’un de leurs étés heureux, ensembles sur l’océan sur le bateau de leur oncle Howard. Critique de Louis Corpechot.

C’est vers ce dernier qu’ils se tourneront pour rembourser la dette de jeu de Terry, et pour permettre à Ian de briller aux yeux de la belle Angela. Mais l’oncle Howard va exiger d’eux une contrepartie inattendue.

Après Match Point, Woody Allen confirme son goût pour la lecture des Antiques. Il nous emporte dans un film qui est au premier degré un songe prophétique. Cassandre, la plus belle des filles de Priam, est en effet douée du don de divination. Dan la mythologie, elle prédit la chute de Troie, mais plus elle prévoit des événements terribles, plus elle passe pour folle. Le bateau que désirent les deux frères devient le signe prophétique de leur désir d’une richesse qu’ils n’ont pas. D’autant plus qu’il est nommé d’après un lévrier gagnant sur lequel Terry a parié.

Respectant l’homonymie entre le bateau et le film, Woody Allen réalise une mise en scène prophétique. Lors de l’achat du bateau, les frères discutent de l’argent dont ils disposent : l’un des deux, Ian, est masqué par la grille, comme enfermé. Ce premier plan dévoile la vérité du présent, et les suites inévitables qu’il appelle. La suite montrera comment la relation fraternelle est dissymétrique : tandis que Terry est garagiste et vit un amour partagé avec Kate, Ian est célibataire et rêve de réussite financière. Les images classiques des deux frères qui marchent ensemble ou s’échangent des regards rieurs vont peu à peu laisser place à celles de la solitude et de la trahison. Nous assistons à une véritable déstructuration de l’intérieur, illustrée par les mots d’Ajax : « Oui, le temps, dans sa longue, indéterminable course, le temps fait voir ce qui restait dans l’ombre, tout comme il cache ce qui brillait au jour. » [1]

Car c’est à Ajax, dévoré par la jalousie, et à son frère Teucros, que font référence Ian et Terry. Ian dont le nom évoque l’Aïaï de la tragédie grecque, le « hélas » qui traduit le nom d’Ajax. Woody Allen ne se laissent cependant pas enfermer dans l’antique récit, mais l’ouvre à une nouvelle dimension en en inversant le dénouement, comme si chacun mourait de la mort qui ronge l’autre. Dimensions auxquelles s’ajoute encore celle de deux frères mourant pour le même crime, mais pas de la même façon : le bon et le mauvais larron qui entoure Jésus au Calvaire.

Louis Corpechot

[1Sophocle, Ajax, coll. Bouquins, éd. Laffont, Paris, 2001, p. 482.

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