Les Amours d’Astrée et de Céladon

Eric Rohmer

Les Amours d’Astrée et de Céladon, le nouveau film d’Eric Rohmer, est une adaptation de L’Astrée, d’Honoré d’Urfé (1568-1625), écrite au début du XVIIe. Critique de Louis Corpechot.

Pour extraire un scénario des 5000 pages de ce roman fleuve, le célèbre réalisateur a centré son intrigue sur le personnage de Céladon, berger gaulois amoureux de la bergère Astrée : celui-ci se jette à l’eau de désespoir quand sa bien-aimée, trompée par un jaloux, lui ordonne de ne plus paraître devant elle. Il est heureusement sauvé par des nymphes.

Eric Rohmer s’est attaché à conserver le texte du « roman des romans », donnant à son film tous les charmes d’une langue française parsemée d’imparfaits du subjonctif. Il a choisi de respecter également les illustrations qui se trouvent dans les éditions du XVIIème siècle et d’utiliser des œuvres de l’époque, comme par exemple deux tableaux de Simon Vouet.

C’est dire qu’il a choisi de représenter l’idée des gaulois que se faisaient les contemporains de L’Astrée, et non de montrer des gaulois « historiques ». Le résultat est un monde bucolique et charmant où des bergers gaulois, en costumes du XVIIème, dansent devant des châteaux de style Louis XIII. Les druides y sont monothéistes, et les nymphes vêtues à l’antique.

Cette liberté que prend Rohmer avec la vérité historique est en fait un acte de fidélité. Fuyant l’interprétation littérale, il met en scène un texte qu’il apprécie, mais en le montrant avec les yeux d’un autre, avec ceux de l’auteur. C’est un geste pédagogique, qui permet la rencontre entre spectateur, réalisateur et auteur. Rencontre qui est le lieu de l’humour qui traverse tout le film, où chaque anachronisme est un clin d’œil (le soldat au casque à ailes d’Astérix).

La « profondité » de la réflexion sur l’interprétation est augmentée par l’histoire elle-même. Céladon est enfermé dans une interprétation littérale des paroles qui sortent de la bouche de sa bien-aimée. Lorsque celle-ci, de colère, lui dit qu’elle ne veut plus qu’il paraisse devant elle, il lui obéit comme à un ordre : il interprète la parole d’Astrée sans voir qu’elle est une parole incarnée, en l’occurrence, en un corps en colère.

Sauvé par les nymphes, Céladon rechute, et veut vivre seul dans la forêt. Sa conception de l’amour est trop spirituelle, puisqu’elle le satisfait alors même que l’objet de son amour est absent. Il faudra, pour le sortir de sa romantique impasse, l’intervention d’un druide instruit de la complexité des cœurs. Celui-ci, plutôt que de traiter Céladon d’insensé, va entrer dans son jeu et inventer mille stratagèmes pour rapprocher les deux amoureux, jusqu’à ce que l’Amour retrouve tous ses droits.

Louis Corpechot

Cinéma