45 ans
Andrew Haigh
Andrew Haigh, 2016. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
La lande anglaise. Une femme arpente les chemins, accompagnée de son chien, pour rentrer chez elle et y retrouver son mari, avec lequel elle s’apprête à fêter leur quarante-cinquième anniversaire de mariage. Tout est serein et il est facile de voir, dans ce paysage ondulé et venteux, aux harmonies grises et vertes, comment le couple, sans doute, a lentement conquis la sagesse et la sérénité, malgré les coups de vent et les ornières, conversant avec les voisins et profitant de la nature, à l’écart de l’agitation des villes.
Mais voici qu’un courrier apprend au mari, Geoff (Tom Courtenay), que le corps de la femme qu’il aima autrefois vient d’être retrouvé dans le glacier où elle était tombée, très loin, en Suisse. L’émotion le submerge, à sa propre surprise. Il parle à celle qu’il aime, avec retenue et amour, de celle qu’il n’a cessé d’aimer. Et soudain Kate, l’épouse (Charlotte Rampling), voit cette vie à deux comme mise entre parenthèses ; elle découvre qu’une autre l’a précédée, longtemps tue et toujours présente, et réalise qu’elle n’a pas remplacé cette autre, retrouvant au grenier des souvenirs cachés, voyant en son mari un désarroi nouveau.
Sans rien dire, en écoutant, en respirant, en marchant, c’est bientôt Kate, en réalité, qui va se retrouver submergée par l’émotion et totalement désemparée. Car les confidences que lui fait son mari, outre qu’elles se révèlent la plus haute expression de son amour envers elle, n’avaient pas été formulées lors de leur engagement. Avec qui Geoff s’est-il marié ? Kate a-t-elle vraiment épousé l’homme qu’elle aime ? L’a-t-il vraiment aimée ? Et la colère qu’elle ressent appartient-elle encore au registre de l’amour ?
C’est un chemin tout en nuances que nous fait parcourir Andrew Haigh, jusqu’à la bouleversante célébration finale de l’anniversaire de mariage, si longtemps attendue et si paradoxale. Les paysages et les canaux du Norfolk accompagnent idéalement cette errance de l’un et l’autre protagonistes dans leur univers familier, la touche sociale des collègues et amis se manifeste avec la délicatesse et la sourde violence auxquelles le cinéma britannique nous a accoutumés.
Pourtant la mise en scène est élémentaire, voire schématique, le scénario cède à quelques facilités (l’ancien amour s’appelait Katya, la femme actuelle Kate…) et la caméra, tout en pudeur, ne fait guère d’efforts. Tout tient au jeu des deux principaux interprètes, à commencer par Charlotte Rampling, admirable de tension et de douceur, de compassion et d’affolement, d’inquiétude sourde et de féminité patiente. Nominée pour l’oscar de la meilleure interprète, l’actrice aura rarement eu une présence aussi rayonnante et intense que dans ce rôle d’épouse vieillissante découvrant que celui qu’elle connaît par cœur ne se sera jamais totalement livré à elle.
Presque du théâtre filmé, donc, et sur des sentiments inconnus des plus jeunes. À moins que la magie du cinéma, précisément, ne permette à tous d’entrer dans la compréhension d’émotions si personnelles et singulières, par la grâce d’un duo d’autant plus universel qu’il consent à ses propres limites.
Denis DUPONT-FAUVILLE
16 février 2016