La Vierge, les coptes et moi…

Namir Abdel Messeeh

Un objet filmique non identifié pour nous parler de l’Égypte, de la Vierge… et de nous. Critique du père Denis Dupont-Fauville.

C’est l’histoire d’une fuite en Égypte. Le réalisateur, Namir Abdel Messeeh, mène une vie paisible en France ; sa compagne attend un enfant. Soudain une nouvelle se répand : la Vierge est apparue au Caire, vue par des chrétiens comme par des musulmans. Le réalisateur s’émeut, et toute sa famille avec lui ; juste après avoir reçu de son producteur l’annonce d’un financement, le voici qui part en Égypte pour mener son enquête, qui doit permettre de donner le jour à son premier… long métrage. Qu’en sera-t-il de ce projet ?

Notre homme a beau être agnostique, les allusions foisonnent donc. Mais ce séjour en Égypte est aussi un retour aux sources. Il retrouve le pays de ses pères, séjourne dans une cité dont il connaît la langue mais où tout lui est étranger, retourne enfin en Haute-Égypte visiter sa famille maternelle qui l’a nourri 2 ans avant que ses parents, partis pour la France, puissent l’accueillir. Avec lui, nous explorons au-delà des clichés, nous nous enfonçons dans des contrées toujours plus déconcertantes, jusqu’à y rencontrer des hommes pauvres et courageux, dont tout nous sépare et qui pourtant (re)deviennent nos familiers.

Par delà l’aventure d’un homme et la magie d’une contrée, ce n’est pas le moindre paradoxe que de voir en Marie celle qui va relier des éléments si divers. Car elle seule met tout le monde d’accord : non seulement les coptes, qui la voient comme leur mère (et celle de l’Égypte), mais aussi les musulmans qui ne doutent aucunement qu’elle soit apparue, la mère du réalisateur effarée par les improvisations de son fils mais confiante que la Vierge bénira cette entreprise (et s’en faisant le relais énergique !), le clergé local prudent devant les audaces de l’enfant du pays mais hardi pour l’aider à rendre hommage à la Mère de Dieu, les paysans conscients de leur pauvreté mais sûrs d’eux pour expliquer à un Occidental ce qu’on peut ou non montrer de la Toute-Sainte...

Avec les yeux d’un déraciné peu croyant, nous contemplons ainsi, simultanément, la dimension chrétienne de l’identité égyptienne, les tensions d’une famille, la façon dont les jeunes filles voilées évoluent avec internet, l’incertitude d’un projet de film qui ne cesse d’aller d’une impasse apparente à l’autre... Comment faire tenir cela en un tout ? Là est la magie du cinéma. Par la force du montage, ce qui ne devrait pas constituer une histoire chemine vers son apogée, d’hésitations en mises en abymes, d’images poignantes en répliques hilarantes.

À la fin du film, nous assistons à la projection, à des villageois de Haute-Égypte, d’un film où ils jouent les témoins d’une apparition mariale. Lorsque Marie paraît enfin, c’est donc sous la forme d’un film de fiction. Et l’émerveillement des spectateurs, devant le drap tendu qui sert d’écran, rejoint celui des foules que les archives nous montraient devant Marie… et suscite notre enchantement. Ceux qui regardent une image de la Mère de Dieu nous donnent à voir une extraordinaire image de la beauté des hommes. À mille lieues des révolutions récentes (comme s’en amuse le générique final), avec des moyens fugaces, quelque chose d’essentiel a été rejoint.

P. Denis DUPONT-FAUVILLE
31 août 2012

Cinéma