La solidarité vit de l’engagement de Dieu
Paris Notre-Dame du 8 septembre 2011
Lorsque l’on est engagé dans une association caritative, au bout de
quelque temps, il est difficile de ne pas s’essouffler. Le P. Etienne Grieu, sj, nous donne ici quelques pistes pour retrouver notre souffle.
On voit parfois les engagements caritatifs ou solidaires des chrétiens de la manière suivante : « j’ai la foi, cela me donne des valeurs, je dois être cohérent et leur donner consistance par des actes concrets ». Dans un tel schéma, la solidarité est une conséquence de la foi, une mise en œuvre ou d’application, quelque chose donc, qui est second par rapport à ce qui forme le cœur de la vie chrétienne. Une telle représentation – qui en soi n’est pas fausse – doit être complétée, afin de reconnaître la charité comme nourriture pour les croyants,
aliment pour leur foi, source pour l’Eglise.
C’est que les gestes de fraternité sont de véritables rendez-vous avec Celui qui nous a aimés le premier. Cela, chacun peut le sentir intuitivement et le reconnaître à la joie que la rencontre des personnes en détresse, en souffrance ou isolée, suscite. De fait, cheminer avec ceux qui ne comptent pas beaucoup, devenir
leurs amis, voir le monde un peu à travers leurs yeux, tout cela est une véritable expérience spirituelle au cours de laquelle chacun est ramené à l’essentiel, reconduit à la source de la vraie vie, simplifié.
Si l’Église tient tant à la charité, c’est que la communauté chrétienne est le lieu où l’Alliance y est accueillie, célébrée, et ce faisant, prend racine, croît, non seulement dans le cœur des croyants, mais dans leurs manières de se rapporter les uns aux autres. Alors elle devient sensible, perceptible ; c’est-à-dire aussi vivante, inventive, audacieuse, elle irrigue toutes les relations.
Mais à quoi peut-on reconnaître cette Alliance ? Regardons la manière dont Dieu s’y est pris avec son peuple, nous y trouverons un guide précieux : l’Alliance, c’est un engagement ; voilà qui la distingue d’une relation où l’on ne se risque pas vraiment. Dieu parle, s’expose, se livre tout entier. Cet engagement est sans condition préalable, sans calcul, sans souci de « réussite ». Ce n’est pas un échange donnant-donnant qui escompte un résultat, une forme ou l’autre de rétribution et s’arrête lorsqu’elle ne vient pas. Son seul « pourquoi ? » est : « parce que c’est toi ». En même temps, c’est une relation qui appelle à répondre : c’est pourquoi elle fait naître, grandir, rend libre. C’est aussi une relation d’emblée pardonnante : Dieu ne
cesse de la proposer en dépit des non-réponses. Ajoutons que le lien de l’Alliance ne boucle pas sur lui-même mais au contraire, dispose toujours à accueillir de nouveaux venus. Enfin, l’Alliance s’intéresse au premier chef à celui qui est menacé de disparaître, de devenir invisible aux yeux des autres, parce qu’il ne compte pas. La vie de Jésus Christ donne à ce type de liens une force stupéfiante ; sa mort sur la croix dit à quel point notre Dieu y tient et le propose jusqu’au bout.
Cette Alliance est une référence majeure pour envisager la solidarité dans la vie des chrétiens et dans l’Eglise. En effet, quand les communautés chrétiennes se laissent travailler par le don de Dieu, elles entrent dans l’Alliance, en vivent, et toutes leurs relations s’en trouvent remodelées, si bien qu’elles font entendre quelque chose de ses tonalités ; et cela, aussi bien dans leurs gestes spontanés qu’à travers des engagements plus formalisés. Ce mouvement ne peut être confiné aux portes des églises : il déborde et passe, de fait, sur la
place publique. La communauté, quand elle vit de l’Alliance, devient signe là où elle est. Et puis, cette joie de liens qui appellent à l’existence, nous la recevons aussi des plus fragiles et des oubliés : ils nous y reconduisent sans cesse, parce qu’ils savent bien que là est la vraie vie, celle qui ne trompe pas, celle qui constitue un véritable appui pour avancer dans l’existence.
Le ressort des engagements solidaires des chrétiens, ce n’est donc pas d’abord de résoudre des problèmes (bien que cela puisse l’être aussi, mais alors comme un surcroît, un cadeau que l’on reçoit). Le
pourquoi de leur engagement, c’est le frère ou la sœur que l’on risque de perdre et à qui l’on dit, d’une manière ou d’une autre : nous tenons à toi, « je ne le lâcherai pas », comme on lit dans le Cantique. Sa visée,
c’est que l’interlocuteur avec qui l’on vit ce lien de l’Alliance puisse apporter sa contribution spécifique, qu’il partage lui aussi le trésor qu’il est lui-même.
Cela peut engendrer des tensions ou conflits ; parfois hélas, au sein même de la communauté, car les frères et sœurs en souffrance sont rarement confortables. Mais la durée montre qu’on gagne toujours
énormément à faire le chemin avec eux, car notre Dieu passe par là. • Etienne GRIEU, sj., décembre 2010
Des pistes pour agir