Madrid 2011 : un temps d’espérance pour l’Église
Lisez ou réécoutez l’interview de Mgr Jean-Yves Nahmias, évêque auxiliaire de Paris, le 26 août sur Radio Notre Dame.
Mgr Nahmias, comment avez-vous vécu l’événement des JMJ ?
Avec beaucoup de joie : j’ai pu vérifier jour après jour la foi vive des jeunes, ainsi que leur présence active à ce qui leur était proposé. Je reviens donc vraiment « dopé » pour cette rentrée !
J’ai marché dans les Pyrénées avec 250 jeunes. Nous sommes partis de Paris et sommes arrivés du côté espagnol. Nous avons eu un temps magnifique après une belle préparation car ce qui importe, dans un pèlerinage, c’est de pouvoir entrer dans une démarche non seulement personnelle mais aussi communautaire. C’est ce que permet la randonnée : accepter de marcher avec les frères qui nous sont donnés pour ce temps de pèlerinage. A cet égard, la marche permet de faire attention à son propre corps, à son propre rythme, donc à son intériorité. Et aussi aux capacités des uns et des autres, à leur fatigue éventuelle. En effet, tout le monde n’a pas les mêmes aptitudes, surtout quand le chemin monte beaucoup. J’ai vu cette charité active tout au long des JMJ.
Ce qui vous a marqué, c’est la préparation des jeunes.
Je l’ai constaté dans Paris depuis plusieurs mois : les groupes se sont très bien préparés. Ce qui montre que les jeunes sont très demandeurs. Ainsi, souvent, une messe était organisée un dimanche soir par mois, suivie d’un repas et d’une catéchèse. Ces JMJ n’ont pas été pour eux un événement ponctuel de l’été, mais quelque chose qu’ils ont désiré et préparé en groupe et de manière personnelle.
Ce n’était donc pas de l’ordre du divertissement…
Absolument pas. J’ai trouvé les jeunes très sérieux… et très joyeux. Ils savaient se détendre - d’autant plus que la joie est vite expressive quand on est en groupe - tout en participant avec force aux temps de prière, aux catéchèses, etc.
La discipline intérieure et individuelle a énormément facilité la discipline collective, notamment quand a éclaté un violent orage le soir de la veillée avec le pape.
C’est une foule impressionnante par le nombre et, effectivement, très disciplinée. Je crois que c’est sans équivalent. Chacun participe à un événement qu’il porte intérieurement. Ce qui nous rassemble, c’est notre foi, notre attachement au Christ. Ou plutôt, c’est lui qui nous rassemble. Cette communion se ressent très fortement dans les grands rassemblements. Étonnamment, ce sont les moments de silence, comme le chemin de croix, le temps d’adoration au cours de la veillée ou pendant la messe finale, qui parlent le plus. On voit bien que, quand plus d’un million de personnes est à l’unisson, partageant une même ferveur, l’Esprit Saint est à l’œuvre.
On a entendu en Espagne que la jeunesse était manipulée. Or, on ne peut pas obliger plus d’un million de personnes à être silencieuses. Si ce n’est pas un moment vécu avec profondeur et intériorité, il y en aura toujours qui se feront entendre.
Après les Pyrénées, les groupes de Paris ont été accueillis à Barcelone. De nombreux groupes de France et du reste du monde ont été accueillis également en Catalogne. Nous avons vécu des grands moments au cours de la messe internationale, puis avec l’eucharistie, le 15 août, qui a réuni dans une ferveur extraordinaire les pèlerins parisiens autour de leur archevêque, Mgr André Vingt-Trois. Elle a eu lieu dans la basilique de la Sagrada Familia, un lieu magnifique qui nous tire vers le ciel. Ce lieu, quelle folie et quelle beauté ! Prier dans un tel monument a été un moment très fort pour les jeunes.
La grande jeunesse des participants a beaucoup marqué les observateurs. Était-ce le cas pour le diocèse de Paris ?
Dans certains groupes, avoir 22 ans vous range parmi les « vieux ». Dans d’autres groupes, à 22 ans on est le plus jeune. Cela dit, j’ai été impressionné par le sérieux que j’ai pu observer dans les groupes les plus jeunes et leur désir profond de participer à un rassemblement chrétien qui travaille les cœurs, qui les enracine dans le Christ – c’était le thème de ces JMJ -, avec la volonté de devenir chrétiens pour la vie. Pour les « plus âgés », c’est-à-dire les jeunes de 23, 24, 25 ans, et parfois un peu plus, c’était un peu comme une retraite personnelle, vécue en communauté, pour déterminer leur vie définitivement pour le Christ et poser des choix de vie.
Quand les JMJ se déroulent en Europe, la moyenne d’âge est plus jeune. Selon les âges, elles ne portent pas tout à fait les mêmes fruits et se vivent différemment. Ainsi, l’enracinement dans l’Église est sans doute vécu plus fermement par les aînés. On dit qu’une génération de jeunes, c’est cinq ans. Donc au moins deux générations étaient présentes à Madrid. Les faire cohabiter demande aux responsables de groupes et aux aumôniers une vigilance pastorale, pour organiser des temps communs ou des temps séparés. Globalement, j’ai eu le sentiment que cela se faisait paisiblement.
La journée mondiale de la jeunesse est aussi la Journée mondiale des évêques ! Nous étions plus de 800 évêques. C’est pour nous aussi un temps de conversion, un temps où nous essayons d’être à l’unisson de ce qui se passe – nous sommes enseignés par la foi de ces jeunes – et c’est également un temps d’échanges entre nous. Il est normal qu’un évêque qui est valide vive ces moments, même s’ils sont fatigants. Nous étions immergés dans l’Église universelle.
Beaucoup de jeunes m’ont dit avoir été marqués par la multitude des drapeaux. On manifeste son identité nationale et sa culture dans la paix et la communion. C’est une véritable espérance pour la jeunesse et cela rend visible ce qu’est notre Église : catholique, universelle, qui rassemble tous les peuples et toutes les nations.
Chaque pays a sa propre culture et sa propre histoire. C’est la grandeur de l’Église que de s’adapter, au sens fort du terme, de s’inculturer pour annoncer l’Évangile.
L’accueil des espagnols a été très fort. Plus les jours passaient, plus on a pu constater qu’ils étaient très heureux de ce rassemblement. Ils nous remerciaient d’être là. Nous avons senti que, dans la situation difficile qui est la leur, aussi bien sur le plan économique que sur la place de l’Église dans la société, la présence de l’Église universelle, à travers ces centaines de milliers de jeunes, était un réconfort et un signe d’espérance. Il faudra maintenant leur laisser le temps d’assimiler cet événement.
Y aura-t-il un après JMJ pour tous ces jeunes, alors que certains commentateurs se plaisent à répéter que l’Église est fatiguée, vieillissante et ternie par les scandales ?
Un prêtre étudiant malgache d’une paroisse parisienne a organisé une petite réunion avec un certain nombre de prêtres africains. Voici leur diagnostic : la foi est vivante en Europe, cette jeunesse est profondément enracinée dans le Christ et la foi va repartir. Ce regard extérieur est intéressant. Alors que les prêtres africains sont souvent dubitatifs, voire sévères avec la situation de l’Église en France, c’est un bon signal. J’ai tendance à croire qu’ils ont raison.
Concernant le bilan, soyons patients. J’ai posé la question à quelques jeunes ; voici une des réponses : « Il est trop tôt pour parler de fruits. Il faut laisser le temps du retour. » Effectivement, il faut du temps pour que mûrisse ce qui a été semé. Un autre m’a dit : « J’ai gagné en patience et j’ai découvert que j’avais besoin de grandir en patience. » Une de ses amies a ajouté : « Oui, c’est vrai, mais ce ne sont que des prémisses ». C’est donné et c’est aussi un travail à faire. Ce que m’a confié un autre jeune résume bien ce que j’avais pu voir : « Ces JMJ sont comme une belle pierre supplémentaire ajoutée à un édifice qui est déjà très beau. » Il faut maintenant laisser chacun être fidèle à ce que l’Esprit Saint a fait jaillir en lui. On voit déjà que les idées fusent, que des attentes fortes apparaissent : formation, présence à l’eucharistie, décision de prière personnelle, initiatives de groupe.
Des amitiés sont nées lors de cet événement.
Des amitiés solides qui vont être un tissu sur lequel la pastorale de la jeunesse va pouvoir s’appuyer. Des amitiés qui ne sont pas fermées sur elles-mêmes, mais qui témoigneront du Christ à travers les liens très forts qui ont pu naître. Ce qui est impressionnant quand on voit des jeunes revenir des JMJ, c’est qu’ils sont profondément acteurs de leur vie chrétienne, profondément enracinés dans leur communauté paroissiale.
Est-ce qu’un événement comme celui-là vous a manqué quand vous étiez jeune ?
A l’époque c’était impensable ! La mondialisation avait à peine commencé. Il a donc fallu attendre la bienheureuse initiative de Jean-Paul II. On voit bien aujourd’hui que ce rendez-vous que donne le pape à la jeunesse est incontournable.
Benoît XVI a une personnalité différente de celle de Jean-Paul II. Comment est-il perçu par les jeunes ?
Je répondrai en citant un exemple. Lors du gros orage qui est survenu pendant la veillée du samedi soir, la foule s’agitait et cherchait des moyens de se protéger de la pluie avec des sacs poubelle, des tapis de sol, etc. C’était un vrai brouhaha jusqu’à ce que le Saint Père commence à parler : « Queridos amigos… » Une immense clameur s’est alors levée. Tous ont quitté le sac en plastique sous lequel ils étaient recroquevillés et ont bondi pour l’acclamer. Il a suffi de la voix du pape pour que tout le monde oublie la pluie et le vent, et se lève !
Une jeune femme m’a dit qu’elle avait été frappée par l’homélie de la dernière messe : Benoît XVI semblait s’adresser à chacun individuellement. Elle se demandait comment un homme de son âge arrivait à rejoindre les jeunes de sa génération et à les toucher au cœur.
D’après l’émission « Retour sur les JMJ » animée par Louis Daufresne
Radio Notre Dame – 26 août 2011