Boyhood
Richard Linklater
Richard Linklater, 2014. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
Voici un film « expérimental » au propos assez étonnant : le réalisateur, Richard Linklater (auteur de la trilogie des Before, conclue l’an dernier par Before Midnight), l’a tourné douze ans durant, avec des acteurs qui vieillissaient en même temps que leurs personnages. Chronique familiale de l’Amérique profonde, qui suit une mère et ses deux enfants de déménagements en déménagements, de remariage en remise en cause et de rencontres en découvertes.
Autre tour de force, le montage qui passe d’année en année sans indication, sans sous-titrage et sans transition. Ainsi, cette histoire si longue dans la réalité, et qui connaît tant de ruptures et d’étapes, apparaît comme un continuum qui respire au rythme de la vie même : la croissance des enfants (puis des adolescents) se poursuit sans heurts malgré tous les drames qu’ils traversent, la nature montre sa puissance de métamorphose comme la sérénité de son impulsion propre.
C’est assez dire que ce long métrage de 2h43, de par son procédé même, assume une dimension métaphysique. Un peu comme dans les films où nous voyons éclore une fleur en accéléré, nous avons ici une matérialisation du temps qui passe et de la force de la vie… mais sans effets spéciaux. La force des images tournées « sans trucage » est grande, au point que nous nous attachons bientôt aux péripéties familiales comme si les protagonistes nous en étaient connus depuis longtemps.
Cependant, et c’est là où le bât blesse, le réalisateur n’a guère d’autre propos que son procédé même. Si l’histoire est centrée sur le jeune Mason, que nous voyons passer de 7 à 19 ans, elle n’a pas de scénario autre que les péripéties qui peuvent vraisemblablement affecter un membre de cette tranche d’âge, pas de point de vue spécifique et partant pas de véritable travail de mise en scène. À part quelques séquences où le spectateur a parfois le sentiment qu’une véritable intrigue pourrait s’amorcer ou des émotions personnelles rigoureusement transcrites (ainsi de la conversation où Mason en vélo accompagne une camarade à pied et où les deux adolescents progressent face à la caméra ; ainsi du passage chez les grands parents où une référence à l’origine est à peine esquissée), nous allons d’épisodes banals en rebondissements passe-partout (qu’il s’agisse des fureurs du beau-père alcoolique ou des confidences sur le sens de la vie d’un père divorcé à son fils adolescent).
Ainsi, malgré le travail étonnant de certains comédiens (Rosanna Arquette qui n’a pas peur de montrer les outrages du temps, Ethan Hawke qui fait ce qu’il peut pour donner à son personnage un peu d’humanité), nous n’aboutissons qu’à une longue suite de clichés qui n’affirment ni ne contestent quoi que ce soit, jusqu’à la scène finale qui se voudrait symbolique et qui se révèle à peine digne d’un roman-photo. Quelques surprises de cadrage, quelques trouvailles de bande-son n’arrivent pas à rattraper le sentiment que, plus encore que le temps qui passe, nous contemplons un discours qui se cherche sans se trouver et finalement se délite sans avoir été énoncé.
Certains pourront toujours être émus des inévitables ressemblances avec leurs propres histoires familiales, ou constater que les problèmes de la classe moyenne américaine ne sont pas si éloignés de ceux des familles de plus en plus éclatées de notre vieux continent. Mais ces similitudes ne permettent pas de rapprochements véritablement éclairants, de même que l’ambition du propos et l’originalité des moyens ne parviennent pas à nous sauver de la déception.
Denis DUPONT-FAUVILLE
Juillet 2014