Cabrini
Alejandro Monteverde
Alejandro Monteverde, 2024. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
Ce que femme veut
Une héroïne peut connue en France mais qui vaut la peine d’être découverte : Mère Francesca Cabrini [1]. Originaire de Lombardie, où elle fonda une petite congrégation missionnaire, elle voulait partir en Chine malgré sa santé fragile. Après avoir rencontré de haute lutte le pape Léon XIII, celui-ci consent à la laisser partir… aux États-Unis, où les Italiens ont besoin d’aide et où se trouve l’argent nécessaire aux missions. Débarquant en 1889 à New-York avec cinq Sœurs, souffrante, démunie, âgée de près de 40 ans, première supérieure d’une mission outre-mer, elle s’installe immédiatement dans un des faubourgs les plus pauvres et va accomplir des merveilles dans son nouveau pays [2]. En 1946, elle deviendra la première citoyenne américaine à être canonisée et la patronne des émigrés.
Projeté en avant-première pour la journée de la femme le 8 mars, le film sort en France le 20 mars prochain. Tourné par le réalisateur de Sound of Freedom, il a bénéficié de moyens importants, faisant alterner les discussions à huis-clos avec des reconstitutions impressionnantes de New-York et des scènes de grande ampleur, sans oublier quelques séquences en Italie. La mise en scène illustre consciencieusement cette histoire édifiante, mais la force de l’intrigue et l’engagement des acteurs permettent de pallier les lourdeurs (éclairages, travellings) ou simplifications [3] inévitables.
Une exaltation de plus de la femme et du monde des migrants ? Bien davantage. Ces dimensions sont en effet présentes, mais portées par une personnalité singulière et situées dans une histoire concrète, dont nous redécouvrons la complexité. Ainsi du racisme conscient et assumé des populations américaines d’origine britannique ou irlandaise envers les immigrés italiens, de l’exploitation cynique des enfants qui vivent « même pas comme des rats », de la corruption politique ou des tentations ecclésiales de compromission. Mais le regard posé sur ces réalités décourageantes est plein d’espérance. À cet égard, les joutes entre “Cabrini” et les politiciens, ou avec l’archevêque de New York, alliant habileté et franc-parler, la manière dont elle comprend et utilise rapidement le rôle des médias dans la société moderne, le réalisme dont elle témoigne en affaires, la hardiesse avec laquelle elle impose sa présence dans des quartiers réservés soit aux prostituées soit aux riches, la dureté qu’elle a envers elle-même et la patience aimante qu’elle enseigne tant à ses compagnes qu’aux orphelins qui l’entourent, sans ignorer non plus les crimes et les injustices qu’elle doit affronter ni les moments de désespoir qu’elle parvient à traverser, tout devient motif d’action de grâces.
Au fond, le film est toujours dans l’entre-deux. D’abord entre le réalisme matériel et l’espérance que seule donne la foi. Le pape le dit à Cabrini : « je ne comprends pas où se termine votre ambition et où commence votre foi ». Mais aussi entre deux langues (savoureux mélange d’anglais et d’italien), deux continents, les couches sociales qui s’ignorent, les composantes civile et religieuse de la société, voire l’innocence et le crime. Tout cela fécondé par une volonté donnée sans retour, car la puissance de Dieu se déploie dans la faiblesse.
Denis DUPONT-FAUVILLE
14 mars 2024
[1] Dite aussi Mère Françoise-Xavière Cabrini, de son nom religieux complet.
[2] Elle y multipliera ses interventions (Chicago, Seattle, Nouvelle-Orléans…), mais traversera aussi 24 fois l’océan, parcourant en train ou à pied la Cordillère des Andes, le Brésil, l’Argentine ou l’Europe et fondant de son vivant un total de 67 instituts (écoles, hôpitaux, orphelinats) dans le monde entier, jusqu’à la Chine.
[3] Au sortir du film, le spectateur a curieusement l’impression que Mère Cabrini a déployé toute son activité à New York en dehors d’un aller-retour en Italie, mais il y a déjà tant à raconter dans ce cadre…