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Nawapol Thamrongrattanari

Nawapol Thamrongrattanarit, 2025. Critique du père Denis Dupont-Fauville.

Présenté à la 25e Mostra de Venise, un film venu de la lointaine Thaïlande qui rejoint nos questions les plus urgentes. Une mise en scène épurée et pudique, touchant au plus intime avec un minimum de moyens et qui, tout en manifestant comment les procédures contemporaines ne cessent de nous faire violence sous prétexte de nous protéger, parvient à ménager la distance nécessaire pour réfléchir ce déferlement aussi anonyme qu’omniprésent.

Fren, jeune femme travaillant à faire passer des entretiens d’embauche pour une grande société de Bangkok, découvre qu’elle attend un enfant. Peut-elle en parler, à qui, comment ? Au bureau, le jeu consiste à être le plus accueillant possible avec les candidats pour les trier de la façon la plus impitoyable. L’embauche à laquelle postulent tant de jeunes, aussi généreux que surdiplômés, revient à les livrer à l’arbitraire d’un chef de service cruel et manipulateur. Les collègues sont solidaires, mais privés de dialogue. Les médias vont de récits d’attentats en prédictions de fin du monde, climatique ou autre, infusant une culpabilisation permanente. Quant au compagnon de Fren, généreux et idéaliste, rêvant de la protéger entre deux démonstrations de gilet anti-poignard, son sens des principes les mettra physiquement en danger avant que son allégeance à des logiques mafieuses ne finisse par garantir une protection “responsable” à sa famille.

Autant d’épisodes décrits calmement, avec une grande sensibilité de montage et de cadrage. La vie de chacun semble se dérouler sur des rails, planifiée dès avant la naissance, du cercle primordial du fœtus échographié à celui terminal des cendres d’une collègue incinérée après avoir “craqué”. Les voitures roulent silencieusement sur des voies où tout est prévu… sauf l’irruption de voyageurs à contresens. Sous une réserve aussi naturelle que nécessaire, le personnage de Fren nous fait côtoyer des abîmes par des changements d’attitude imperceptibles.

Dans une atmosphère si policée, pour évoluer dans une ambiance supportable, mieux vaut se conformer à la logique des algorithmes. L’expression “ressource humaine” le dit bien, où ce qui ressortit à l’homme n’est considéré que comme la variante d’un prédicat toujours ajustable. Ceux qui réussissent se comportent d’ailleurs comme des machines. Conserver une part d’humanité requiert d’échapper à l’isolement planifié, mais comment ? La solidarité du crime enferme elle aussi, aider les autres en s’oubliant expose au danger… Au terme, sans réponse claire, la famille semble le seul lieu, même très imparfait, porteur d’une possible gratuité. Où la vie puisse encore éclore, mais pour combien de temps ?

Le dernier plan, où des machines nettoient un pare-brise pour permettre de contempler l’horizon, est aussi plein d’espérance que lourd d’inquiétude. Heureux ceux dont le regard peut encore être lavé par des larmes humaines.

Denis DUPONT-FAUVILLE
27 septembre 2025

Cinéma
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