Interview de Mgr Laurent Ulrich par Paris Notre-Dame

Paris Notre-Dame – 11 septembre 2025

Paris Notre-Dame du 10 septembre 2025

À l’occasion du jubilé de ses 25 ans d’ordination épiscopale, Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris, nous a accordé un entretien dans lequel il revient sur son ministère et présente quelques-uns des jalons de l’année à venir pour Paris.

Propos recueillis par Charlotte Reynaud

© Yannick Boschat / Diocèse de Paris

Paris Notre-Dame – Vous avez été reçu par le pape Léon XIV en audience privée le 25 août dernier. Que pouvez-vous nous en dire ?

Mgr Laurent Ulrich – J’ai sollicité cette rencontre, de la même manière que je l’avais fait avec le pape François, lors de ma nomination comme archevêque de Paris. J’avais pu saluer Léon XIV lors du Jubilé des Pouvoirs publics, fin juin, et je l’avais déjà rencontré lorsqu’il était préfet du dicastère pour les Évêques, mais il me semblait important de pouvoir lui présenter la situation du diocèse de Paris et les grands projets qui l’animent. Il a été très heureux que je l’invite à Paris et à Notre-Dame, cathédrale pour laquelle il a un attachement spécial. Il s’est montré, surtout, particulièrement intéressé par le concile provincial sur le catéchuménat et le néophytat, à la fois par sa dimension – associant les évêques des huit diocèses d’Île-de-France – et par le sujet en lui-même, qu’il considère comme extrêmement important pour la vie de l’Église aujourd’hui. Lui-même avait reçu, au début du mois d’août, les catéchumènes et néophytes de France, présents pour le Jubilé des jeunes à Rome, au cours d’une matinée de catéchèse. Il savait qu’ils étaient nombreux ; il a tenu à leur parler en français. Lors de notre entretien, il a insisté sur le fait qu’il considérait cet essor du catéchuménat comme un don de Dieu, à accueillir comme une surprise de Dieu à l’égard de l’Église. Une surprise, car ce n’est pas grâce à notre travail qu’il y a des catéchumènes et des néophytes ; il se trouve que nous travaillons pour cela, mais nous nous apercevons que le plus grand nombre vient spontanément, par des voies inattendues. Le travail pastoral mené par le diocèse, les prêtres et les laïcs, est le fruit d’un dynamisme nécessaire que le Seigneur nous donne, mais nous sentons bien qu’il y a une forme de décalage, et que le don de Dieu s’adresse à des personnes et rejaillit ainsi sur l’Église.

P. N.-D. – Concernant le concile sur le catéchuménat, où en sommes-nous ?

L. U. – Nous lançons dès à présent une période préparatoire de consultation. L’objectif de cette phase préparatoire est de produire ce qu’on appelle à Rome l’Instrumentum laboris, c’est-à-dire un dossier de travail qui servira de base pour les personnes qui siégeront, ensuite, dans cette assemblée conciliaire. Pour ce faire, on va interroger les prêtres, bien sûr, qui reçoivent les catéchumènes dans leur paroisse ; les diacres, qui sont très engagés dans cet accueil ; les accompagnateurs, qui forment une assemblée très nombreuse en Île-de-France ; les néophytes, qui ont des choses à dire sur la façon dont l’Église les accueille et comment ils se sentent désormais partie prenante de l’Église, et enfin, les catéchumènes, sur ce qu’ils vivent et ont vécu. Il est bon de rappeler que les catéchumènes, à partir du moment où ils ont vécu l’accueil en Église, sont déjà considérés comme des fidèles. Leur parole et leur expérience sont précieuses. Cela fait écho à cette tradition, dans la Règle de saint Benoît, qui impose au père abbé d’écouter le plus petit et le dernier venu dans la communauté, y compris celui qui est tout juste novice. Cela s’inscrit aussi dans ce que demandait le pape François, qui nous a habitués, dans la préparation des différents synodes, à faire des enquêtes préalables dans le monde entier, afin de se mettre véritablement à l’écoute du peuple de Dieu.

P. N.-D. – Et une fois cette phase préparatoire achevée ?

L. U. – Le concile sera solennellement ouvert le dimanche de la Trinité, le 31 mai 2026, lors d’une célébration à Notre-Dame, basilique métropolitaine ; c’est l’occasion de rappeler que le mot « concile », comme « synode », signifie « célébration ». Oui, le concile est une prière. Relisons le chapitre 15 des Actes des Apôtres, sur le concile de Jérusalem. Une problématique provoque une discussion entre eux. Pour discerner, les apôtres invoquent l’Esprit Saint, prient ensemble et ensuite, seulement, écoutent des voix diverses, à travers des témoignages et des prises de parole. C’est ce que nous ferons également. Après l’ouverture solennelle, se tiendront trois assemblées conciliaires au cours des années 2026 et 2027. Le texte conclusif retenu par les évêques sera ensuite porté à Rome, auprès du dicastère des Évêques, pour recevoir la Recognitio, c’est-à-dire qu’il sera déclaré « conforme à la doctrine catholique » et donc publiable sous l’autorité de l’archevêque et des évêques de la province. Durant l’automne 2027, à une date qui sera fixée ultérieurement, une célébration nous réunira de nouveau à Notre-Dame de Paris pour la promulgation des conclusions de ce concile provincial, qui s’imposeront – dans l’ordre de priorité qui conviendra à chaque évêque – aux huit diocèses d’Île-de-France.

P. N.-D. – À Paris, de nombreuses initiatives existent déjà, que ce soit au niveau paroissial – dans l’accueil et l’intégration des catéchumènes et néophytes – ou diocésain, avec, par exemple, les catéchèses mystagogiques [1]. Pourquoi cette volonté d’un concile provincial ?

L. U. – On trouve une réponse dans les Évangiles, et notamment dans le passage sur la pêche miraculeuse. Les apôtres qui font cette pêche miraculeuse vont appeler ceux de l’autre barque. Dans l’Église, on ne travaille pas tout seul. Ce n’est pas un exercice où l’un cherche à avoir la prééminence ou la prévalence sur les autres. C’est très important ; dans l’Église, on est toujours en train de vivre les choses “avec”. Et on a besoin de tous pour parvenir à une façon d’être qui soit ecclésiale et à la gloire, non pas d’un acteur ou d’une Église particulière, mais de l’Église tout entière, et qui serve donc la gloire de Dieu. Entre évêques de la province, nous nous sommes rendus compte que les mêmes questions se posaient à nous : que faire avec cette survenue multipliée de catéchumènes ? Comment la vie de nos Églises s’en trouve-t-elle affectée ? Nous avons vu dans ces préoccupations partagées l’opportunité d’une coopération entre nous. Chaque Église gardera sa spécificité, ses problématiques et ses manières de faire, mais il y aura un esprit commun qui dépassera notre seul diocèse et donnera l’image d’une Église qui tient compte des nouveaux venus que Dieu lui envoie.

P. N.-D. – Vous fêtez, ce 10 septembre, le jubilé de vos 25 ans d’ordination épiscopale. Vous avez été archevêque de trois diocèses très différents, en Savoie, dans le Nord et maintenant à Paris. Comment relisez-vous, en quelques phrases, ces années d’épiscopat ?

L. U. – C’est passé vite ! Il y a d’abord eu un apprentissage de la responsabilité en Savoie, avec l’archidiocèse de Chambéry, Maurienne et Tarentaise et la découverte d’une région et de tout un peuple. Ce n’était pas une expérience tout à fait nouvelle dans la mesure où j’avais été vicaire général pendant dix ans du diocèse de Dijon. Je savais combien il était important de sillonner un territoire pour aller à la rencontre des paroisses et des fidèles. Dès la deuxième année, j’ai souhaité présider un synode sur la mission et la vitalité des paroisses ; cela a donné un véritable élan qui ne s’est pas essoufflé tout au long des huit années que j’ai passées là-bas. J’avais à cœur de travailler à ce dynamisme, ainsi qu’à conforter l’unité entre ces trois diocèses aux histoires très différentes, réunis en 1966. Cette première nomination a été pour moi une très belle expérience. En 2008, j’ai été nommé à Lille, un tout jeune diocèse créé en 1913 ; j’avais donc cinq ans pour préparer le centenaire, une occurrence providentielle pour revivifier la vie pastorale du diocèse.

P. N.-D. – Par quels moyens ?

L. U. – La préparation de ce centenaire s’est déployée sur trois années, d’abord autour de la charité du Christ, puis l’accueil de la parole de Dieu et enfin sur le sacrement de confirmation ; 1 500 adultes « recommençant » dans la foi ont été ainsi confirmés le lundi de Pentecôte 2013, lors d’une célébration dans le grand Palais des congrès de Lille. Il y a dix ans déjà, on observait des adultes éloignés de la foi y revenir de manière assez étonnante et en nombre significatif. Comme archevêque de Lille, j’ai aussi présidé un concile provincial sur les paroisses, qui a porté de beaux fruits dans tout le diocèse. Enfin, en 2022, la surprise de Paris, à laquelle je ne m’attendais pas du tout… Un diocèse dynamique, des perspectives très importantes – comme la réouverture de la cathédrale – mais aussi la découverte et l’animation d’une province à huit évêques, tous à la tête d’un gros diocèse, avec une forte densité de population, des problématiques identiques, et donc un entraînement mutuel ; une grande joie, aussi, de voir des Églises – pas simplement des personnes, mais véritablement des Églises – dynamiques, sensibles à la fois à la forte diminution des prêtres et à la multiplication des vocations laïques. Les vocations de prêtres diminuent, mais celles des laïcs augmentent. Cela ne veut pas dire que les vocations sacerdotales deviennent inutiles, mais cela signifie que le terreau vocationnel se développe autrement. J’espère que la multiplication des vocations laïques va, à sa manière, faire naître de nouvelles vocations de prêtres.

P. N.-D. – C’est aussi une province marquée par une forte présence étudiante…

L. U. – Bien sûr. Après les JMJ en France en 1997, tous les diocèses ont développé une pastorale des Jeunes qui a bien fonctionné. Cela me semblait déjà réel quand j’étais à Chambéry ; également très vivant, très intéressant, porteur et prometteur, dans le diocèse de Lille. Mais à Paris et en région parisienne, avec ce terreau étudiant, c’est particulièrement vrai. Il y a une belle et grande richesse de propositions pour la pastorale des Jeunes qui, je l’espère, ouvre sur des engagements d’adultes.

P. N.-D. – Beaucoup de joies, donc…

L. U. – Beaucoup de joies, mais aussi beaucoup de gravité et même de la douleur. Comme archevêque de Chambéry, et évêque de Maurienne et Tarentaise, j’ai eu à gérer une affaire judiciaire à l’encontre d’un prêtre, qui était par ailleurs un de mes vicaires épiscopaux. Pour la première fois, j’étais confronté, personnellement et en tant qu’évêque, à la question des abus dans l’Église, à une époque où l’on croyait encore que ces cas étaient des exceptions et où l’on était, comme évêque, assez désarmé. J’en ai été très marqué. Ensuite, à Lille, il y a eu plusieurs autres affaires. Je me suis fait conseiller et aider par une équipe composée, entre autres, de psychiatres et de juristes. En 2015, j’ai décidé de créer une cellule d’accueil pour les personnes victimes et de les recevoir personnellement. Ces rencontres ont profondément changé mon regard sur cette question ; c’est un champ immense qui s’est présenté à moi, dans ma personne, dans mon épiscopat ; un champ de conversion et d’attention pastorale. Cette démarche de conversion progressive – qui fut la mienne et celle de l’Église – a profondément changé ma manière d’appréhender ce sujet douloureux : ce n’est plus seulement le problème de l’Église et des prêtres, mais c’est d’abord et surtout celui de la douleur des victimes ; notre façon de les écouter, de les croire et de considérer leur parole comme étant la lumière qui doit nous éclairer.

P. N.-D. – Dans les grands rendez-vous de l’année à venir, il y a celui de Taizé 2025. Vous vous êtes justement rendu à Taizé, début août, pour aller à la rencontre des Parisiens qui revenaient de leur jubilé à Rome…

L. U. – J’ai effectivement invité les pèlerins parisiens à la Rencontre européenne de Taizé, qui se tiendra à Paris et en région parisienne, cet hiver, du 28 décembre au 1er janvier 2026. Cette rencontre se veut internationale, européenne et oecuménique ; les co-présidents du Conseil d’Églises chrétiennes en France (CECEF) se sont d’ailleurs joints à l’appel que j’avais fait en janvier dernier. 15 000 jeunes sont attendus, autour d’un programme significatif d’échanges, de réflexions et de prières en commun. Ils seront logés chez des particuliers ou dans des presbytères, afin que cet accueil « familial » soit l’occasion d’une rencontre. Des temps de prière seront organisés dans plusieurs paroisses parisiennes et franciliennes, pour la prière de midi, ainsi que des lieux d’échange et de « forum », afin de proposer des témoignages et des interventions durant ces journées. Chaque jour, tous les participants sont invités à se regrouper pour la prière du soir, qui est une prière d’intercession pour la paix. Durant la Rencontre, le frère Prieur de la Communauté de Taizé envoie un message aux participants, afin de leur proposer des lignes d’efforts, de prière, de méditation et d’engagement pour l’année qui suit. Mettre dans le cœur des jeunes – et entretenir dans ces cœurs – une flamme œcuménique et internationale en faveur de la paix dans le monde, c’est, à mon avis, aller sur un bon chemin ; c’est incarner, dans leur vie, la foi chrétienne et cette recherche de construction d’Églises qui veulent se parler et avancer ensemble. Même si elles ne font pas une Église unique, elles sont en marche vers l’unité, à l’appel de Dieu. Réunir ces jeunes avec ce désir de la paix dans le monde, c’est, je crois, une démarche extrêmement importante – que Taizé vit et nourrit tout au long de l’année –, particulièrement dans le contexte actuel, avec ces bruits de guerre que l’on entend partout dans le monde, même en Europe et même entre chrétiens.

[1Mystagogiques, c’est-à-dire, selon les propos de l’archevêque, « qui conduisent sur un chemin de lumière, qui permettent au néophyte de comprendre ce qu’il a vécu dans la célébration des sacrements de l’initiation ».

Article de Paris Notre-Dame – 10 septembre 2025

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