L’ami – François d’Assise et ses frères
Renaud Fely, Arnaud Louvet, 2016. Critique du père Denis Dupont-Fauville.
L’idée de départ se montre plus que séduisante : au moment où, en 1209, le groupe de frères fédéré autour de François d’Assise se développe à un point tel qu’il attire l’attention des autorités ecclésiales, un conflit émerge progressivement entre François, s’attachant avec intransigeance à la radicalité de son attitude originelle, et son disciple et ami Elie de Cortone, conscient de la nécessité de rédiger une règle et d’organiser un mouvement qui sera bientôt amené à rendre des comptes. Consolidation ou trahison ? Au-delà de la différence des personnalités, c’est toute la question de la transmission, de la fraternité, de la nécessité d’une structuration de la vie religieuse et de la possibilité des compromissions recélées par une telle mise ne forme qui est posée.
Ainsi, la confrontation entre les deux frères mineurs permet de ménager diverses perspectives sur l’opposition entre idéal et réalité ou plutôt sur la façon d’envisager un idéal réel, sur la manière dont l’inévitable institutionnalisation peut ou non sauvegarder l’élan initial ou dont les fondateurs se révèlent capables de transmettre leur intuition au-delà des premiers commencements.
Pour ces problématiques complexes, les réalisateurs ont choisi une forme épurée. Quoiqu’ils s’en défendent, la manière de Rossellini est ici omniprésente, dans les décors naturels où des personnages sans apprêts vivent leur expérience d’une façon si simple qu’il est permis d’espérer que leurs questionnements, si divers et parfois si contradictoires soient-ils, pourront rejoindre nos propres préoccupations et éclairer les spectateurs, ou au moins témoigner de l’actualité de cette aventure. Ce parti-pris de décalage quant aux modes actuelles par l’adoption de moyens simples pour refléter l’aventure de la pauvreté augmente encore l’intérêt initial envers l’intuition première des auteurs.
Hélas, n’est pas Rossellini qui veut. Il ne suffit pas d’une forme épurée pour garantir un fond consistant. Dès la première image, le contresens est patent : là où chacun attend la scène de François prêchant aux oiseaux, le film s’ouvre sur les oiseaux parlant à François. Pas de verbe articulé ni de statut de la parole humaine, pas d’harmonie autre que celle de la sujétion à une animalité supposée innocente.
Dès lors, les conséquences s’enchaînent, en un hors sujet qui manifeste de plus en plus le décalage entre le propos de François et celui des auteurs. Pas un mot sur le Christ, pas une image de lui – ne serait-ce que la contemplation du célèbre crucifix de San Damiano. Pas de réflexion sur le péché. En dehors d’une scène tournée dans une abbaye italienne, rien de la lumière de l’Ombrie. L’Église est vue comme une force extérieure et hostile (« ils » sont dangereux), aucun plan de la communauté ne renvoie à autre chose qu’à elle-même. La liturgie est filmée presque comme le chant d’une équipe sportive. Là où l’enjeu devrait être la rencontre de l’Autre [1], nous sommes ramenés aux affres du maintien de l’entre-soi.
Nul étonnement, dans ces conditions, à ce que Élie tente finalement de se suicider [2], puisqu’il ne cherche qu’à se trouver lui-même ; mais accablement quand l’échec de son suicide devient le prétexte à une envolée prétendument mystique qui ressasse les lieux communs de notre religiosité contemporaine. Et tristesse surtout que le seul élan montré soit celui de cette chute.
Qui voudra découvrir François d’Assise ou l’idéal chrétien passera donc son chemin. Bien plutôt, l’ouvrage apparaît comme le miroir des interrogations bobos sur une radicalité rêvée mais de plus en plus hors d’atteinte.
Denis DUPONT-FAUVILLE
28 décembre 2016
[1] Qu’il suffise d’évoquer ici la scène sublime du baiser au lépreux chez Rossellini : pas d’autre lumière que celle de la nuit, pas d’autre présence que celle d’un inconnu, pas d’autre peur que celle de la mort, affrontée par le miracle d’une présence. Pas de discours directement religieux, mais une expérience qui rejoint l’universel.
[2] Symptomatique à cet égard la remarque des auteurs dans le dossier de presse, qui notent que « la séquence du suicide d’Élie est […] anachronique. Le suicide était quasiment inconcevable au Moyen Âge. C’était un péché terrifiant […] Il fait d’Élie un personnage décalé par rapport à son temps. Mais c’est aussi un passage très intime. Le spectateur s’invite dans la tête d’Élie à ce moment-là ».